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Forum : Yojimbo (Le Garde du corps)

Sujet : Critique


De dumbledore, le 26 décembre 2002 à 00:00

Dans son autobiographie, Sergio Leone imaginait d'Akira Kurosawa, que le plus dur devait être de se dire que les grands succès qu'il a eus étaient ceux de ses remakes étrangers : notamment Les Sept Mercenaires pour les Sept Samouraïs et Pour une poignée de dollars pour Le Garde du corps. Sergio Leone était même prêt à expliquer par là la tentative de suicide d'Akira Kurosawa qui se retrouvait face à la difficulté quasiment insurmontable de faire des films.

La remarque de Sergio Leone est bien évidemment tout à la fois méchante et révélatrice. Méchante car injuste, et révélatrice car ce qui se cache derrière cette formule, c'est une vérité que Sergio Leone ne devait pas ignorer : Le Garde du corps est de loin plus réussi que Pour une poignée de dollars. Le succès financier est une autre affaire et si on devait prendre un exemple similaire et plus récent, il suffirait de comparer ce chef d'oeuvre absolu du " nouveau cinéma " (comme on dirait le " nouveau roman ") qu'est Blow-Up et son remake populiste qu'est Blow Out, moins intéressant même si financièrement plus réussi. C'est la même chose ici. Quand Sergio Leone adapte Le Garde du corps, il n'en garde que la trame, quelques idées cyniques : le constructeur de cercueil ; quelques idées de mises en scènes : l'épuration visuelle notamment avec cette " main street " filmée avec le souci d'exacerber les perspectives travaillant les axes en contre-plongée qui s'opposent très nettement avec les intérieurs, en focales normales, sans plongée ou contre-plongée, très " Ozu ". La sur-théâtralité de Sergio Leone se retrouve même dans ce film qui propose une mise en scène très réfléchie, élaborant une logique qui court durant tout le film. Le modèle du théâtre est ici exposée avec une force rare. La " main street " est la scène de théâtre avec des effets de décors (la fumée à la fin du film), de mise en scène (personnage bougeant avec lenteur, en représentation, jouant), alors que les intérieurs sont les coulisses avec les histoires personnelles, intimistes, qui semblent, au fond, n'avoir que peu de rapports avec ce qui va se passer sur scène !

Mais le plus intéressant dans cette " affaire Leone ", c'est de voir que finalement ce que l'on ne retrouve pas dans le film de l'italien, c'est justement le fond, la vision d'Akira Kurosawa et finalement ce qui fait l'intérêt du film. Sergio Leone fait un film ludique, jouissif, mais sans vraiment de profondeur et là réside la (seule) critique que l'on peut faire de son film.

Le film d'Akira Kurosawa propose une version à la fois terrible et violente de la société ici réduite à une petite ville. Un (ancien) Samouraï arrive et se présente comme le pire des salopards. Il est agressif, égoïste, intéressé. Seulement, peu à peu, on découvre que la ville, de laquelle il se joue, n'est pas forcément meilleure que lui. Et puis, surtout, le Samouraï va finalement réagir, une fois, de manière humaniste (en sauvant un enfant – thème et représentation chère à Kurosawa). Il devra le payer, et le payera en étant quasiment roué de coups, mais cette mise à mort sera l'occasion d'une renaissance, en tant qu'Homme avec des valeurs à défendre. Il décide, enfin, d'agir et surtout de réagir face à l'inégalité.

De nouveau le thème cher à Akira Kurosawa de l'action, salvatrice, non pas seulement de l'entourage mais de soi-même.


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De Mars, le 22 décembre 2004 à 11:42

"Pour une poignée de dollars" a réussi là ou "le garde du corp" a échoué. Sergio Leone a occidentalisé cette version.


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De PM Jarriq, le 22 décembre 2004 à 14:02
Note du film : 6/6

Nul n'a mentionné l'autre remake de "Yojimbo" : "Dernier recours" de Walter Hill, curieux plagiat du style Leone transposé à l'époque des gangsters. Evidemment le thème de Kurosawa est totalement dégénéré, et passer de Mifune à Eastwood pour finir à Bruce Willis n'est pas non plus un progrès. Reste à prier que personne n'ait envie de pondre une quatrième mouture !


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De Arca1943, le 22 décembre 2004 à 17:42
Note du film : 6/6

Dont acte, mais le canevas du Garde du corps ne dérive-t-il pas de «Arlequin, serviteur de deux maîtres», de Goldoni?


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De PM Jarriq, le 22 décembre 2004 à 18:07
Note du film : 6/6

Of course. D'ailleurs à bien y regarder, les premières saisons de "Alias" sont elles aussi des dérivés de Arlequin, puisque l'héroïne part en mission pour deux employeurs différents et ennemis.


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De Harry Fabian, le 28 juillet 2005 à 00:10

Pourquoi dit-on toujours que Sergio Leone a copié Kurosawa ? C'est vrai que pour une poignée de dollars est un remake de Joyimbo

mais le probléme c'est que Kurosawa avait lui aussi copié l'histoire de son film d'aprés une piéce de théâtre de Carlo Goldoni, intitulée "Arlequin serviteur de deux maîtres" et ça personne ne le dit jamais !!! Moi j'aime autant le film de Kurosawa que celui

de Leone mais je tenais à rétablir la vérité d'ailleurs Kurosawa n'a jamais caché sa passion pour le théâtre.


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De Arca1943, le 28 juillet 2005 à 19:33
Note du film : 6/6

Et voilà ! Encore une fois, tout est parti de la commedia dell'arte ! Voilà une exégèse qui n'est pas faite pour me déplaire… Ajoutons à cela que Kurosawa dans l'immédiat après-guerre fait passer dans la culture japonaise l'influence du néo-réalisme (avec L'Ange ivre, notamment) et la coupe est pleine !


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De Citizen Dave, le 22 août 2006 à 20:49
Note du film : 6/6

Il est difficile de préférer les films de Kurosawa les uns par rapport aux autres. Yojimbo (Le Garde du corps) est particulier sur plusieurs points. Les deux camps qui s'affrontent ne sont pas l'un les bons l'autre les méchants, ils sont tous deux mauvais, cependant que le profil du héros demeure trouble. Une telle idée a un rendu shakespearien évident, mais, étrangement, elle était inédite jusque là dans le domaine du cinéma. Or, les réalisateurs vont enchaîner dans cette double voie du héros trouble et des conforntations de clans négatifs. Sans doute, l'idée du héros plus trouble a d'autres formes d'annonces dans le cinéma améticain, mais globalement l'originalité de Kurosawa a marqué. Maintenant, ce qui m'intéresse, c'est la musique du film qui est exceptionnelle et qui présente de nombreux contrepoints festifs et drôlatiques à l'action dramatique. Ma curiosité serait de savoir dans quelle mesure la musique même de Yojimbo a influencé le cinéma américain et tout spécialement celui de Sergio Leone dont on sait que Pour une poignée de dollars reprend Yojimbo. La musique d'Ennio Morricone a ses spécificités propres, mais dans quelle mesure sa présence dramaturgique dans les films de Leone a pu s'inspirer des films de Kurosawa. Enfin, point plus délicat, Yojimbo est exactement contemporain de la version américaine de Sturges des Sept samourais en Sept mercenaires. Par ouï-dire et par sentiment plastique, Sturges a suivi de très près une partie des dérulements scéniques du film japonais original que je n'ai pas encore vu, mais j'aimerais bien questionner la partition musicale de Sturges qui a quelques particularités en matière de décalages surprenants. Sturges a-t-il tenu compte des particularités origianles des bandes sons des Sept samourais et de La Forteresse cahcée, ou bienest-ce que ce genre de composition musicale plus détonnante était vraiment dans l'air du temps?


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De Arca1943, le 26 juillet 2008 à 01:16
Note du film : 6/6

« Dans son autobiographie, Sergio Leone imaginait d'Akira Kurosawa, que le plus dur devait être de se dire que les grands succès qu'il a eus étaient ceux de ses remakes étrangers : notamment Les Sept Mercenaires pour les Sept Samouraïs et Pour une poignée de dollars pour Le Garde du corps. »

Il faudrait à ce sujet parler des conditions de sortie des films de sabre de Kurosawa hors du Japon. Si un film a tout ce qu'il faut pour conquérir un vaste public, c'est bien Yojimbo ; mais certainement pas sous-titré dans une salle "art et essai". Il faut le doublage, de la pub, une vraie distribution. Le Garde du corps, si j'ai bien compris le résultat de mes recherches, n'a jamais connu de vraie sortie en France (ni, à plus forte raison, au Québec), seulement une sortie de type "cinéphile", courageusement anticommerciale. Moins y'a d'entrées, mieux c'est ! Sinon le film deviendrait "grand public", c'est-à-dire mauvais. Quel pire danger y a-t-il pour un super film d'aventures et d'action que de tomber dans l'escarcelle du "ghetto des salles parallèles", comme l'appelait Ettore Scola ?


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De vincentp, le 26 juillet 2008 à 01:51
Note du film : 6/6

La liste est longue de films de gros calibre inédits en salle, ou sortis confidentiellement !


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De Arca1943, le 26 juillet 2008 à 01:55
Note du film : 6/6

Celui-ci était non seulement de gros calibre, mais doté en outre d'un fort et évident potentiel commercial. Quand y jette un regard rétrospectif, on se rend compte que la distribution du cinéma a toujours été profondément défectueuse, mal pensée, mal organisée, mal exploitée. Sur les cendres de tout ça – car de ce point de vue nous sommes aujourd'hui dans une situation encore pire qu'alors : dans tous les pays du monde, tout produit qui n'est ni américain, ni local est automatiquement condamné à l'échec commercial – il faudrait en repenser complètement les étapes et la reconstruire sur des bases autres. Mais désormais, bien évidemment, seuls des investisseurs très riches et très audacieux pourraient nous sortir de ce trou…


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De vincentp, le 26 juillet 2008 à 02:35
Note du film : 6/6

Pas d'accord ! Les distributeurs font leur travail normalement ! Ou avez-vous pris une idée pareille ? Parfois les distributeurs manquent de flair, mais c'est le jeu normal… Vous ne voudriez pas que ces distributeurs mettent en péril leur société pour faire plaisir à une poignée de cinéphiles ? A noter, aujourd'hui que des cinéastes réputés (jadis) comme Walter Hill, Werner Herzog, John Boorman, dont la côte a pali au box-office, voient leurs derniers films sortis confidentiellement ou pas sortis du tout en France.


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De Arca1943, le 26 juillet 2008 à 07:17
Note du film : 6/6

« Vous ne voudriez pas que ces distributeurs mettent en péril leur société pour faire plaisir à une poignée de cinéphiles ? »

Qui vous parle d'une poignée de cinéphiles ? Je ne parle pas de vendre Antonioni ou Bergman, dont les films, comparés à Yojimbo, manquent singulièrement de duels sabre contre colt ! Kurosawa a beau être une signature aussi prestigieuse dans les cercles exquis de cinéphiles que les deux précédents, il me semble bien plus accessible et plus soucieux d'atteindre un vaste public – en tout cas dans bon nombre de ses films, peut-être pas dans tous (ça dépend aussi des périodes). En l'an de grâce 1961, Yojimbo, cet excellent produit Toho, avait tout ce qu'il fallait pour être un blockbuster à l'étranger, sauf une distribution commerciale adéquate.

Je ne pourrais certainement pas vous faire le même speech pour L'Éclipse ou Le Septième sceau, grandes oeuvres sans doute, mais dont le potentiel commercial est nul ! Yojimbo, c'est une autre paire de manches. En 1961-62, un tel film était éminemment vendable. C'est du cinéma d'action enlevant, spectaculaire et efficace, qui ouvre la brèche dans laquelle s'engouffreront Sergio Leone et Sam Peckinpah (qui en passant n'est pas l'inventeur de la mort violente filmée au ralenti : voir Les Sept samouraïs). Que de tels films plaisent aussi aux cinéphiles, qui les regardent pour d'autres raisons, plus sophistiquées et diaprées, tant mieux ! Bravo ! Sauf que la question n'est pas là.

Et soit dit en passant, cher VincentP, que diriez-vous d'un petit vote pour le film catastrophe Nihon chinbotsu, autre produit Toho au potentiel évident ?


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De PM Jarriq, le 26 juillet 2008 à 08:21
Note du film : 6/6

D'accord avec Arca. Je ne pense pas que Kurosawa voyait des films comme Yojimbo ou Les sept samouraïs, comme des bibelots de cinémathèque réservés aux intellectuels. Il n'y a qu'à regarder son traitement de certains seconds rôles (les paysans cabotins de La forteresse cachée, le frère du méchant dans Yojimbo, ou Mifune lui-même dans Les sept samouraïs), pour se rendre compte que le réalisateur allait parfois vers le grand public, quitte à racoler dans le comique premier degré. Il est évident que ce genre de "faiblesse coupable" est tout à fait étranger à Bergman ou Antonioni. Autrement dit, il y avait une réelle volonté chez le Japonais, de trouver le succès populaire.


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De Arca1943, le 3 février 2010 à 12:46
Note du film : 6/6

J'ai un élément de plus à verser à ce dossier. Dans un des suppléments de mes précieux DVD japonais – ceux qui accompagnent Kiru je crois – l'acteur Nakadai, qui s'adresse à une équipe de télé française, signale en passant le succès public de plusieurs films de sabre des sixties… en Italie.

Je suis allé faire un tour sur le site ibs.it pour vérifier quelque chose… et voilà : Sette samuraï, La Sfida del samuraï furent doublés en italien et pas seulement sous-titrés : indice d'une "vraie" distribution commerciale – un début en tout cas – contrairement à ce qui s'est passé en France.


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