Forum - Scandale - Critique
Accueil
Forum : Scandale

Sujet : Critique


De dumbledore, le 18 octobre 2005 à 00:06
Note du film : 6/6

Scandale est un film qui sent le souffle de l'après guerre. Nous sommes en 1949 quand Akira Kurosawa réalise le film et le Japon, après la capitulation de l'Empereur, s'ouvre au monde occidental en général et à l'influence américaine en particulier. De nouvelles idéologies déferlent sur le pays, des nouvelles ouvertures intellectuelles… mais également des déviances.

Parmi celles que devine Akira Kurosawa se trouve la dérive de la fameuse "liberté de la presse". Sous prétexte de dire tout ce qu'elle veut, une certaine presse se permet de dire n'importe quoi… en toute impunité.

De là est né Scandale. Le film raconte les mésaventures du peintre Ichiro Aoye qui a eu le malheur de prendre sur sa moto une jeune femme pour la ramenée dans son hôtel. Plus tard dans la soirée, il va lui rendre visite et alors qu'ils parlent sur la terrasse, ils sont photographiés par des journalistes qui ont reconnu dans la jeune femme une célèbre chanteuse. Le journal Amour s'empresse de titrer sur la nouvelle romance de la chanteuse avec un jeune peintre. Furieux, le jeune peintre refuse de baisser la tête et veut dénoncer l'article. Il est abordé alors par un vieil avocat, Hiruta, venu lui témoigner son admiration tellement il trouve sa révolte sublime et rare. Touché par le vieil homme (qui a notamment en charge sa fille malade), le peintre décide de l'engager… Seulement outre d'être vieux, Hiruta est un homme faible, facilement influençable par la partie adverse.

Kurosawa fait preuve ici de son incroyable maîtrise cinématographique. Il construit son récit de façon très précise, surtout concernant les personnages. Deux figures sortent évidemment du lot, à savoir le peintre et l'avocat.

Pour le peintre, Kurosawa fait appel aux talents de l'incontournable Toshirô Mifune. Le personnage est évidemment proche de Kurosawa lui-même, Kurosawa qui aurait sans doute été peintre s'il n'avait pas découvert le cinéma ! La construction du personnage est d'une rare modernité. Il est ainsi très lié à la moto, sorte de double du personnage, moto qu'il chevauche durant tout le film. Le choix de ce moyen de transport caractérise parfaitement le personnage : à la fois solitaire et libre, viril également et puissant. Plusieurs gimmicks affublent également Aoye, comme celui de se gratter la tête quand il est soit nerveux, soit furieux. Tout cela permet de parfaitement camper le personnage…

Mais c'est évidemment dans la psychologie que le personnage est le plus riche. Il est un idéaliste éclairé, nullement naïf. Il sait qu'en portant plainte il se lance dans une croisade de laquelle il ne pourra sans doute pas sortir indemne. Mais pourtant il y va. De la même manière, il sent très vite que si l'avocat Hiruta est au fond de lui bon et honnête, il est également faible et sans doute corrompu. Malgré tout, jamais il ne lui fait part de ses doutes, jamais il ne le pousse à se reprendre. Il est conscient que le vieil homme est pris dans un terrible dilemme moral et l'y laisse. Il sait que si on ne trahit au fond jamais d'autre personne que soi-même, on ne peut être moralement sauvé – également – que par soi-même.

L'idéalisme du personnage et même la structure narrative de l'action donnent au récit des faux airs de films de Capra et notamment de La vie est belle (avec notamment une fête de Noël nostalgique et triste). Un peu trop sans doute aux yeux de Kurosawa lui-même qui trouva finalement son film trop optimisme, trop gentil.

L'avis du réalisateur lui-même est un peu dur.

Surtout au vu de l'autre personnage principal : l'avocat Hiruta interprété par un magistral Takashi Shimura qui est lui aussi un fidèle de Kurosawa. Le personnage connaît un parcours terrible et si l'on sent sans cesse que sa lâcheté, sa trahison, sa faiblesse vont être contrebalancé par un volte-face tout aussi dramatique que spectaculaire, Kurosawa ne manque pas de nous surprendre dans ce renversement. Il est terrible et ne prend pas l'aspect de la révolte mais au contraire de l'acceptation de sa propre nullité, de sa propre faiblesse. Le personnage n'est pas héroïque, nullement. Mais il est honnète. Ce qui est peut-être bien plus dur !

Ces deux personnages sont menés par une histoire fort intelligemment écrite avec un "passage de relais" étonnant et réussi entre les deux personnages. Si le film démarrer sur le peintre, ce dernier s'éclipse quasiment du récit pour laisser la place, après un bon tiers du récit, à l'avocat. Le procédé est suffisamment rare pour être admiré.

Quant à la mise en scène à proprement dite, qu'en dire ? Elle est d'une grande finesse, avec un souci du cadre et de la composition propre au talent de Kurosawa. Pas un plan en trop, pas une scène sans une idée forte. Voyez la présentation de l'avocat (c'est une porte qui s'ouvre en un courant d'air et un chapeau que le vieil homme essaye d'attraper). Voyez les axes et cadres dans le procès avec un travelling étonnant tournant autour de l'avocat qui se détache d'abord sur fond de ses clients avant de l'être sur fond de la partie adverse qui le paye !

Bref du grand art…


Répondre

De cormega, le 17 juillet 2006 à 18:06
Note du film : 6/6

Je suis d'accord avec l'enthousiasme de cette critique. Un film rarement cité dans la filmographie de Kurosawa et pourtant j'ai le sentiment en le regradant que c'est un film assez personnel du cinéaste. Quant à Shimura, il est remarquable dans ce film.


Répondre
VOTE
De Citizen Dave, le 22 août 2006 à 21:10
Note du film : 6/6

Peut-être que Kurosawa a ressenti cette particularité d'avoir fondu deux films en un, sans exploiter leau minimum le potentiel de la première histoire. En effet, le film débute sur une rencontre tout de même effectivement amoureuse que symbolise l'image peinte suggérée aux spectateurs de la montagne qui bouge. Puis prend sa dimension avec la correspondance de la photo moyennement trompeuse qu'exploite sans vergogne les paparazzis japonais, à une époque où le mot "paparazzi" n'existe pas encore, puisque le film La Dolce vita lui est postérieur.

La photo a une matérialité réaliste imparable, mais autorise un mensonge direct quand l'image de la peinture était en soi un mystère incluant l'amour du peintre et de la chanteuse sans s'y confondre. Passons sur l'idée d'exploiter un jeu de mots avec l'amour capable de déplacer des montagnes, mais il y a tout de même une virtualité du film qui avait un potentiel énorme et qui a cédé la place à la seconde histoire, à tel point que l'amour des deux personnages va continuer de se signifier de trouver des prétextes et des rencontres, mais sans jamais se concrétiser. Le film ne va pas résoudre cette question importante, ni même s'intéresser aux contorsions plus compliquées que l'intrigue auraient pu ressentir à ce moment-là. Kurosawa choisit parfois la ligne désespérément plus simple du scénario et ici il a sans doute eu de quoi le regretter. Imgaginons la tournure d'un procès où les journalistes sont accusés de mentir alors qu'il y a tout de même une juste intuition d'un amour fort naissant entre les deux personnes photographiées.

Lors du procès, il est tout de même un peu étrange ce climat du héros qui jure de sa bonne foi, devant les oreilles d'une femme qui le séduit.


Répondre

Installez Firefox
Accueil - Version bas débit

Page générée en 0.0036 s. - 5 requêtes effectuées

Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter