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Forum : Mulholland Drive

Sujet : Le cinéma intuitif


De dumbledore

Comme souvent avec les films de David Lynch, on sort de la projection en se disant, « c'est bien mais j'ai rien compris ». On sait qu'il y a quelque chose, mais on n'arrive pas à mettre la main dessus. Un peu comme au réveil, et que l'on tente de se souvenir d'un rêve que l'on sait avoir été drôlement bien.

Le réalisateur Lynch est entre Buñuel et Kubrick. Buñuel pour une certaine fascination pour les matières du rêve, de la psychanalyse (éléments sans queue ni tête, sans sens non plus, purement délirants ; clivage d'un personnage en plusieurs personnages-facettes ; non respect de la linéarité du temps etc.). Kubrick, dans un travail de nivellement par le bas du sens du film. Tous deux retirent des couches d'explications pour permettre au spectateur de trouver comme explication du film souvent celle qu'il y aura apportée.

Pour aborder le cinéma de Lynch, il faut savoir que souvent une ou deux clés suffisent pour décoder un de ses films ; le danger étant de sombrer dans le fantasme de la souris qui accouche d'une montagne, c'est-à-dire partir d'un détail et sur-interpréter jusqu'à plus soif. Les détails chez Lynch contribuent souvent plus à l'ambiance, à l'étrangeté, qu'au sens.

Ici la clé réside dans le fait que la deuxième partie précède la première partie, la scène pivot entre les deux parties étant celle au théâtre avec l'ouverture de la boîte de Pandore.

Remise dans le bon sens, l'histoire devient relativement simple : suite à la mort de sa tante, Betty la blonde a hérité d'une somme d'argent suffisante pour qu'elle quitte son trou perdu pour monter à Hollywood. Elle rêve d'être actrice comme tout le monde, et se retrouve dans une petite maison minable qu'elle partage avec Rita la brune qui veut elle aussi être actrice. Les deux femmes se soutiennent, deviennent amantes. Betty est très amoureuse, Rita moins. Pire, Rita commence à réussir dans le métier d'actrice, et a même une aventure avec le réalisateur du film sur lequel elle travaille. Betty devient jalouse. Rita veut rompre avec elle. Betty engage un tueur à gages pour assassiner Rita… La nuit durant laquelle doit se passer le meurtre, Betty boit trop, et se met à rêver… Elle rêve que sa tante était riche et comédienne à Hollywood. Elle rêve qu'elle vient vivre à Hollywood et qu'elle tombe sur Rita, une jeune femme paumée, amnésique, pourchassée par des tueurs, etc…. Bref, elle rêve de tout ce qui est on ne peut plus cliché sur Hollywood et dont se moque allègrement David Lynch

Car évidemment le film est une critique d'Hollywood vendeur de rêves tout fait, et au-delà, une mise en éclairage des dangers de l'imagination, des dangers du rêve. Une seule scène d'ailleurs dans le film n'est pas reliée aux autres, c'est celle des deux types parlant dans un bar. L'un avoue à l'autre qu'il a fait un rêve terrifiant, qu'il y avait un monstre dans la contre-allée. L'ami lui conseille d'aller voir. Ils y vont et se font tuer dans la contre-allée. Scène emblématique et claire : oui, suivre ses rêves peut être dangereux, ils peuvent même tuer.

Sans doute pas le meilleur David Lynch (Lost Highway sur la jalousie est sans doute plus fort), Mulholland Drive (nom de la route qui ne mène nulle part sauf aux lettres géantes d'Hollywood) est toute de même un des films les plus sarcastiques sur l'industrie du cinéma.


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De Patrice Dargenton, le 8 juin 2003 à 17:19
Note du film : 5/6

Les rêves et les déceptions d'une jeune actrice à Hollywood : doit-elle tout accepter pour réussir sa carrière et pourra-t-elle alors assumer ?

Mulholland Drive est d'une construction similaire et tout aussi intrigante que Lost Highway : David Lynch prend un malin plaisir à empiler des éléments de scénario en sachant très bien qu'ils provoqueront un "dépassement de pile" chez le pauvre spectateur (chez moi en tout cas) qui se demande si à la 2ème ou 3ème vision le film passe sans erreurs à la compilation, c'est-à-dire qu'au bout du compte, est-ce que tous les éléments du scénario prennent logiquement et parfaitement place dans un magistral enchevêtrement d'une grande maîtrise artistique ? En tout cas, ce n'est pas évident ; si vous avez vu le film, vous pouvez lire mon interprétation.

Je considère David Lynch comme un génie du cinéma, car intuitivement, j'ai quand même la fragile impression que tout ça se tient. Il faut se faire une raison, l'art lynchien se consomme comme les oeuvres musicales : plusieurs écoutes sont requises pour goûter tout le plaisir cinéphilique. Cependant, ce qui relevait, à mon avis, purement de l'intuitif dans l'expression de l'étrange dans un film comme Twin Peaks par exemple, exige maintenant une conceptualisation intellectuelle pour la compréhension de l'oeuvre : Amateurs d'énigmes psychologiques, à vos neurones ! Patrice Dargenton (Mon site)


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De WalterSullivan, le 3 septembre 2004 à 12:22

Très bonne analyse du film. C'est également ce que j'avais compris du film la première fois que je l'ai vu (pas besoin pour moi de l'avoir vu une seconde fois pour en comprendre le sens…il faut dire aussi que ma ma compréhension de ce film a été fortement facilité par le fait d'avoir joué à Silent Hill 2 sur Playstation2…Plus qu'un jeu, une expérience!) Bref.

Il me reste toutefois quelques interrogations. Bien qu'ayant vu le making of ou Mr. Lynch en personne explique l'essence de son film, il parle surtout (et c'est ce qui ressort de l'analyse qu'on en fait) de la volonté de faire passer des IDEES (le cube bleu = boite de pandore ; la scène du theatre = tout est illusion et se passe dans la tête de Diane, etc…)

Mais alors: qu'elle est l'interprétation de la brève scène finale où l'on voit le monstre du bar ranger le cube dans un sac et par là meme, les petits vieux sortir du sac? On pourrait dire qu'il libère les démons qui vont hanter et tuer Diane… De même que la clé bleue qui repose sur la table de Diane à la fin. L'a-t-elle récupéré après le meurtre de Rita? Cette clé a-t-elle ouvert qqch? qqch de si horrible qu'elle ait conduit Diane à se tirer une balle dans la tête?


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De Vedder, le 16 août 2005 à 02:23

Je suis en grande partie d'accord avec l'analyse faite par Dumbledore. Elle possède, à mon sens l'avantage de démystifier le film. Je m'explique : j'ai souvent l'impression en visionnant une oeuvre de David Lynch de me perdre dans ces détails dont justement parle l'analyse. Ces mêmes détails qui sont bien entendu là pour troubler le téléspectateur et il faut bien l'avouer, je reste très souvent "bloqué" à la recherche d'une interprétation complexe sortant le plus souvent le film de son contexte.

L'effet réducteur voulu en quelque sorte par l'auteur de cette analyse m'a permit de mieux appréhender Mulholland Drive.

Ce que je trouve tout de même plaisant avec Lynch c'est justement cette force qu'il insuffle à ses films, force qui nous trouble, nous touche et qui nous détourne de la vérité dans une certaine mesure. Même si son sujet principal reste une critique du système holywoodien et de ses faux semblants, Lynch aborde bien d'autres aspects dans ce film et avec une profondeur telle que le fil conducteur de l'histoire semble se désagréger.

Enfin bref, tout cela pour dire qu'il s'agit d'un bon film et que, décidemment, Lynch m'étonnera toujours avec autant de réussite.


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De vincentp, le 20 décembre 2005 à 23:16
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Dumbledore

a peut-être raison mais c'est un film qui n'a pas de mon point de vue d'explications cohérentes. Et cela volontairement. Lynch montre au spectacteur le film qu'il a envie de voir, laissant à celui-ci le soin de reconstituer le puzzle, à partir des pièces qu'il lui a communiquées. Cela peut irriter certains, ou cela peut susciter un grand enthousiame chez d'autres. Pour ma part, j'exprime un point de vue intermédiaire, ayant admiré la technique de Lynch (le film est exceptionnellement bien filmé), mais ici moins apprécié son propos. Je préfère d'autres films de ce metteur en scène tels une histoire vraie, blue velvet, elephant man.


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De Impétueux, le 31 décembre 2013 à 16:26
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Qu'est-ce qu'il faut faire pour épuiser les cent, les mille interprétations que permet un film aussi génial que Mulholland drive ? Suivre les conseils d'orientation qui figurent sur le boîtier du DVD ? Lire les multiples gloses étagées sur le film dont certaines le décryptent séquence par séquence, souvent de façon très intelligente, d'ailleurs (je conseille http://forban.pagesperso-orange.fr/md) ? Se contenter d'une interprétation de l'évidence, c'est-à-dire que David Lynch a joué sur la temporalité et l'onirisme et que la deuxième partie du récit précède chronologiquement la première, comme l'expose Dumbledore (mais c'est tout de même un peu plus compliqué que ça).

Ou alors, simplement, se laisser faire, se laisser emporter par un tourbillon d'histoires, d'images et de musiques, toutes – histoires, images et musiques -, toutes ou presque se justifiant par elles-mêmes, suffisant par leur propre singularité à s'emparer du spectateur et à le conduire sur un chemin aussi sinueux que cette route de crête de Los Angeles qui donne son nom au film et qui donne à voir à la fois l'immensité urbaine et une vallée sauvage. Est-ce qu'on a vraiment besoin de tout comprendre et d'établir à chaque instant un fil, un lien, une suite avec d'autres instants ? J'ai toujours été frappé d'une certaine ressemblance entre l’œuvre de Lynch et les romans de Patrick Modiano, malgré l'évidente différence des modes d'expression et du style, minimal ici, flamboyant là. Mais chez l'un et l'autre il y a beaucoup de croisement de vies, de pistes inabouties, d'ombres projetées, comme il y a beaucoup d'appartements vides où grelotte une sonnerie de téléphone. Un peu comme lorsqu'on s'assied sur un banc, ou à une terrasse de café et où on voit, pendant un temps donné, vivre des personnages, qu'on peut s'amuser à deviner mais dont on ne saura pas vraiment l'avant et l'après des moments où ils croisent votre vie.

De la même façon, dans Mulholland drive, les scènes sont toutes si excitantes qu'on peut les regarder comme des aperçus brutaux de la réalité, sans apparente cohérence et sans lien visible, alors que toutes elles s'insèrent dans un ensemble logique. J'ai pensé à Modiano ; je pourrais aussi tirer une ligne vers les Exercices de styleRaymond Queneau raconte 99 fois la même histoire de 99 façons différentes. Le casting où Betty triomphe (Naomi Watts) est, finalement, d'une certaine façon, la représentation sublimée et inversée de la scène étouffante où les frères Castigliane (Angelo Badalamenti et Dan Hedaya) signifient au metteur en scène Adam Kesher (Justin Theroux) qu'elle n'aura pas le rôle et que c'est une autre qui est la fille.

Et on pourrait sans doute trouver bien des exemples, sans même évoquer les silhouettes primordiales de la première partie (le Cow-boy qui est un des invités de la soirée finale chez Adam, ou bien Dan, le jeune homme du café Winkies qui va s'effondrer de terreur à la vue d'un clochard monstrueux et qui est un des consommateurs du café lorsque Betty paye le tueur blond pour abattre Camilla/Rita (Laura Harring).

David Lynch filme ceci avec une absolue maîtrise, utilisant beaucoup la caméra portée et le grand angle et le trouble des images incertaines entre nuit et jour, ombre et lumière, avec une musique époustouflante d'Angelo Badalamenti, son compositeur habituel, et des acteurs alors peu connus, mais dont il fait un usage fascinant.

On n'a pas besoin de regarder Mulholland drive plus d'une fois pour tomber sous son enchantement ; mais à la troisième, à la cinquième, à la dixième vision, il s'améliore encore. Lynch est grand.


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De vincentp, le 31 décembre 2013 à 22:19
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Oui, c'est très bien filmé… mais de mon point de vue un peu ennuyeux et plutôt vide d'idées. Un exercice de style. Les avis ont été très partagés à la sortie de ce film. Pas un des meilleurs films de David Lynch de mon point de vue subjectif (lesquels seraient Elephant man, Blue velvet et Une histoire vraie).


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