J'ai toujours pensé qu'un aspect important du mythe Lupin, c'est que dans une société où les classes sociales sont aussi tranchées – voire étanches -, voilà un personnage qui se ballade d'une classe à l'autre comme s'il avait découvert une porte dérobée permettant de franchir les murailles sociales sans encombres. Voilà qui devait, selon moi, insuffler au lecteur de 1900-1920 une jubilatoire impression de liberté.

Une chose est sûre, en tout cas : les ingrédients du cocktail réunis par Leblanc le sont dans un dosage bien précis, qu'il est périlleux de modifier. Pour prendre un seul exemple, dans les deux séries TV que j'ai vues – celle avec Georges Descrières et l'autre avec François Dunoyer – on avait fait sauter l'ingrédient le plus gênant : c'est-à-dire un petit côté patriotard qui montre le bout de l'oreille à l'occasion (dans «813», par exemple, quand Arsène Lupin manoeuvre pour faire venir le Kaiser d'Allemagne dans sa cellule de la Santé afin de négocier avec lui la cession du Maroc !). Du coup, il manque quelque chose; quelque chose qui semble à première vue anachronique, mais qui a son rôle à jouer, pourtant, dans la construction du personnage…

Boileau-Narcejac, en revanche, dans leur chef-d'oeuvre de pastiche Le Secret d'Eunerville, l'avaient compris et avaient conservé cet aspect : quand Lupin met la main sur le Sancy – un diamant d'une valeur fabuleuse – plutôt que de le voler, il en fait don à la France.

Enfin, c'est juste un exemple. Mais quand vous parlez d'«immodestie» chez les scénaristes du dernier Arsène Lupin, c'est ce qui me vient à l'esprit : pour restituer et maintenir la force du mythe Lupin – qui selon moi reste la meilleure méthode pour se maintenir au sommet du box-office – il faut comprendre qu'on n'en change pas les données sans risque.

Arca1943