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Sujet : Fernandel et Giono, eh bien mais...


De Arca1943, le 23 janvier 2005 à 07:53

…je serais vraiment curieux d'en savoir plus sur ce Cresus pour moi tout à fait inconnu au bataillon.


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De Impétueux, le 23 janvier 2005 à 23:57
Note du film : 5/6

Que vous dire, sur le seul film réalisé par l'immense Jean Giono, un des trois ou quatre plus grands écrivains français du siècle ? Il y a là-dedans à la fois l'apparence de nostalgie des utopies gioniennes de l'avant-guerre (le plus bel exemple, en termes romanesques,est Que ma joie demeure mais Giono a fait mieux – ou pire – dans un paquet d'essais rêveurs et sublimes qui ont abouti à la petite communauté libertaire du Contadour et, du fait de son pacifisme intégral l'ont conduit à la prison, pour défaitisme en 1939) et la vision âpre, amère, sarcastique et effrayée des années d'après-guerre ; parce qu'à la Libération Giono, cette fois aussi, a fait de la prison, pour prétendue collaboration, parce que son pacifisme s'est mal accommodé du résistantialisme officiel, bien qu'il ait couru de sacrés risques en hébergeant des Juifs dans des maisons et des fermes qui lui appartenaient …

Donc, après la guerre – c'est un peu sommaire, comme découpage, mais disons cela pour la commodité de l'exposition – Giono ne dirige plus son attention sur les relations de l'Homme avec une Nature immense, indifférente, mais admirable, mais entreprend de creuser les cœurs, les passions et les caractères des hommes et des femmes dont il découvre que, quelle que soit l'époque, ils ont pareils, identiques en leurs lâchetés, leurs médiocrités, leurs complexités, aussi.

Un roi sans divertissement, puis Les âmes fortes fixent désormais le paysage gionien : la banalité du Mal, qui vient de l'ennui, c'est-à-dire de la condition humaine. Le film tiré d'Un roi sans divertissement est extraordinaire ; celui tiré des Ames fortes ne rend pas au dixième la complexité du récit et de la recherche du plus sombre roman de Giono.

Alors, Crésus. Avant de me lancer dans le panorama sommaire ci-dessus tracé, j'avais l'intention d'écrire,en une parabole assez simpliste, que ce film paraissait d'abord jeter un pont entre le Giono d'avant-guerre et celui d'après la Libération. Le trésor que – sur le plateau du Contadour – trouve Jules (Fernandel ) lui donne envie de changer le monde, comme avait essayé de faire le Bobi de Que ma joie demeure ; mais la suite est de la seconde manière de l'écrivain : la noirceur, l'impossibilité de perfectibilité de l'âme humaine, la veulerie et surtout la logique des choses….

Constance de l'inéluctable, dit je ne sais plus qui…

Un film âpre et qui rit avec des sanglots…


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De Arca1943, le 24 janvier 2005 à 03:13

Que ma joie demeure et Regain sont parmi les plus beaux romans français que j'aie lus.

Que Giono ait tourné un seul film, c'est vraiment dommage. D'autant qu'humble artisan du cinéma, il avait, l'année précédente, dirigé l'extraordinaire version française de La Grande Guerre – un modèle de doublage réussi, qui devrait servir de standard minimum à l'industrie du doublage aujourd'hui.

Cela dit, et pour sortir un peu du cinéma comme tel, j'estime pour ma part que le pacifisme intégral, qu'il soit celui de Giono ou d'un autre, celui par exemple d'Alain ou d'Huxley, n'est pas acceptable à la veille de cette guerre-là, qui se fit contre le "mal absolu" (G.A. Borgese, Churchill), le "mal radical" (Arendt, d'après une spéculation de Kant) ou encore le "mal élémental" (Levinas).

« En même temps que les armes, les esprits ont cédé », note fort justement Simone Weil dans L'Enracinement. Et le comte Sforza, au lendemain de la défaite française, l'expliqua aux Américains en des termes similaires. Cependant le fameux diplomate, habitué à prendre la température de la culture populaire partout où il allait – fût-ce en Chine – précisait bien que le phénomène valait surtout pour l'élite intellectuelle de la France et non pour le peuple français, qui lui aurait plutôt voulu en découdre.

Alors, je n'ai peut-être pas le beau rôle ici, mais je dis que je suis plutôt d'accord pour qu'un pacifiste intégral en 1939 aille moisir en prison pour, disons, au moins deux semaines, sinon trois. Un mois? Allez, va pour un mois! Grand écrivain ou pas, la République, au bord de la guerre, le condamne à réfléchir à l'ombre.

Les esprits ont cédé, et voilà! Le pacifisme intégral était un engourdissement moral dont il convenait de se relever, de s'éveiller comme d'un mauvais sommeil. Ce qui fut fait, par exemple, par Vercors et combien d'autres. Combien d'antifascistes, en Italie, en France et ailleurs, ont commencé par être sinon fascistes, en tout cas fascisants d'une manière ou d'une autre, mineure ou majeure, consciemment ou inconsciemment? Forcément un bon paquet ! Les antifascistes de la toute première heure comme le comte Sforza furent plutôt l'exception que la règle, malheureusement pour eux comme pour nous.

Pour ce qui est de la seconde fois où Giono a été emprisonné, eh bien, je vous avoue que je n'en ai pas la moindre opinion pour l'instant, vu que je manque de documentation à ce sujet.

Mais une hypothèse qui en vaut une autre, sur l'avant/après de la Seconde Guerre mondiale dans l'oeuvre de Giono, c'est que peut-être il venait de réaliser à quel point on peut se gourrer? Et que ça lui a fait un choc? Parti utopiste, il se réveille au siècle de la dystopie? l'ère des Zamiatine, Orwell? Dans la France de Barjavel et de Pierre Boulle?

Le Giono d'avant la Seconde Guerre mondiale n'était sans doute pas l'homme qu'il fallait pour doubler une comédie à l'italienne, car il était encore plein d'illusions. Mais après, oui ! Entre les deux Giono, je préfère quand même celui d'après : moins hop-la-vie, plus grinçant. Comme Marcel Aymé, quoi. Ou Claude Autant-Lara.

Et j'ai, d'abord et surtout, bien hâte de voir ce Crésus dont je viens de découvrir l'existence. Du reste, chaque fois que je mets la main sur un nouveau Fernandel, c'est la joie !

Arca1943


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De Arca1943, le 13 février 2005 à 16:34

« Pourquoi ? Sans doute parce que ces hommes-là, qui pour la plupart ont fait la Grande Guerre (Giono a écrit, sur son expérience des tranchées "Le grand troupeau") ont ressenti une telle horreur, un tel traumatisme qu'ils ne peuvent s'empêcher de penser que TOUT est préférable à ce qu'ils ont vécu… »

Ce que vous dites là est très juste.

Certes, plusieurs facteurs du minimum fasciste existent avant la Première Guerre mondiale – par exemple : le syncrétisme du nationaliste Corradini qui, au slogan marxiste de « lutte des classes » comme prétendu « moteur secret de l'histoire » substitue « la lutte des nations », la lutte entre « nations bourgeoises » et « nations prolétaires », slogan qui fera florès et prendra dans ses rêts autant d'ultraconservateurs que d'anarcho-syndicalistes. Et d'autres encore, comme le futurisme ( « Facciamo l'italiano tipo unico! » titrait la revue Roma futurista d'avril 1912. « Fabriquons l'Italien de type unique ! » Si c'est pas un slogan fasciste, ça, alors je me demande bien ce que c'est !)

Cependant, on peut arguer que ces divers trends protofascistes n'auraient peut-être pas autant infecté la pensée de leur époque s'il n'y avait eu la Première Guerre mondiale pour leur servir, en quelque sorte, d'accélérateur de particules.

Ce qu'il y a de suffocant à constater, c'est que le même événement démesuré va engendrer deux attitudes humaines symétriquement opposées qui vont, in fine – je veux dire en 1939 – se rejoindre. Car au pacifisme absolu correspond en effet un militarisme absolu. La propagande de Mussolini à l'époque du "premier fascisme" (celui du programme de 1919) se nourrit en effet d'une véritablede mystique de la guerre comme fin en soi, de la fraternité des tranchées qui abolit les différenciations sociales et régionales et fabrique… un Italien de type unique, un Homme Nouveau.

Là-dedans vont sauter à pieds joints les jeunes « arditi » et autres mésadaptés qui n'arrivent pas à s'adapter au retour à la vie civile de même que les futuristes, pour qui « la guerre est la seule hygiène du monde » (glp! Voir sur ce point le fameux manifeste de Marinetti). Et aussi toute une clientèle extrêmement hétéroclite. D'ailleurs, une des rares constantes de la rhétorique de Mussolini est justement cette prophétie de guerre, qui est toujours censée éclater le lendemain. (Voir par exemple l'article "Fascisme" de l'encyclopédie italienne de 1931, écrit par Mussolini et Gentile).].

À noter aussi que, de manière tout à fait caractéristique, parmi les interventionnistes italiens, qui vont précipiter l'Italie dans la Première Guerre mondiale contre la majorité de l'opinion publique et la volonté du premier ministre Giovanni Giolitti, il y en a toute une brochette qui avaient commencé par réclamer l'intervention aux côtés des puissances centrales avant de réclamer l'intervention aux côtés des démocraties : pour eux, c'était le fait même d'entrer en guerre qui comptait, peu importe laquelle.

Ce qui est vraiment dingue et pourtant logique, c'est qu'à l'autre bout du spectre, ceux qui ont tiré du traumatisme de la Première Guerre mondiale la conclusion exactement contraire – et qui me semble tout de même plus compréhensible ! – les "pacifistes absolus", vont littéralement jouer dans la main de ce militarisme absolu. S'il fallait en croire Aldous Huxley, par exemple, il aurait fallu, par refus de prendre les armes, laisser les nazis prendre l'Angleterre… Ben voyons! On se met tous en rang et on leur tend la joue gauche?

En bref, c'est Hannah Arendt qui tombe pile lorsqu'elle écrit (dans Les Origines du totalitarisme): « Une chose a été introduite dans la politique qui n'aurait jamais dû s'y trouver : le tout ou rien. »

Arendt disait aussi qu'aucune analyse, aucun discours, aucun aphorisme ne se compare en effeciacité et en plénitude à une histoire bien racontée. Par exemple, je parle des mésadaptés de l'après-guerre, mais pour illustrer ce phénomène et le faire vivre de l'intérieur, rien ne vaut Capitaine Conan. Et, bien entendu, pour montrer jusqu'où certains risquaient d'aboutir, rien ne vaut La Marche sur Rome de Risi

Arca1943


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De Impétueux, le 31 mai 2006 à 18:28
Note du film : 5/6

Vous avez, comme de coutume, fort bien saisi le problème ! On ne peut que partager votre jugement sur l'aveuglement des pacifistes de 1939, leur absence de clairvoyance, et, finalement leur tort absolu : cette attitude a été celle des milieux anarchistes, (Louis Lecoin, Henri Jeanson) ou socialistes révolutionnaires (une tendance de la SFIO – Marceau Pivert).

Pourquoi ? Sans doute parce que ces hommes-là, qui pour la plupart ont fait la Grande Guerre (Giono a écrit, sur son expérience des tranchées "Le grand troupeau") ont ressenti une telle horreur, un tel traumatisme qu'ils ne peuvent s'empêcher de penser que TOUT est préférable à ce qu'ils ont vécu ; ils n'ont pas eu assez d'imagination pour comprendre que ce TOUT pouvait être dépassé…

Mais cette attitude n'est pas rare : il y a vingt ans, les milieux libertaires ouest-européens avaient lancé le slogan "Plutôt rouges que morts !". L'Histoire se perpétue !

Cela étant, pour – je crois pouvoir le dire – connaître Giono assez bien (et en plus d'être du même pays – non pas Manosque, mais Digne, qui est le chef-lieu du département), je vous assure qu'il n'y a pas une once de collaborationnisme dans ce que fait Giono pendant la seconde guerre : sans doute ses propos sur l'enracinement, la Terre nourricière, la supériorité de la civilisation paysanne, exploités par l'idéologie vichyste, ne sont pas démentis par lui : mais comment pourrait-il le faire, alors qu'il les a écrits bien avant 40, et dans une perspective plutôt "de gauche" (pour être simple) qui l'a, un moment, beaucoup rapproché du Parti Communiste ; sans doute a-t-il publié dans La Gerbe dirigée par un collaborateur exalté, mais plutôt naïf, Alphonse de Chateaubriant, le début de ses Deux cavaliers de l'orage ; mais parallèlement, il prend des risques, cache des Juifs, nourrit des réfugiés…

Son aigreur d'après-guerre, qui lui donne, d'ailleurs sa véritable dimension littéraire universelle, n'est pas due à ses emprisonnements successifs, mais au lâchage de beaucoup de ses anciens compagnons, à la terreur qu'impose le Comité National des Écrivains (qui interdit de publier ceux qui, à tort ou à raison, n'ont pas été du bon côté à la Libération… Guitry, Aymé, Montherlant et bien d'autres…à la haine manifestée par beaucoup de ceux qui ont eu tellement peur pendant l'Occupation et se sont terrés qu'ils jouent aux fiers-à-bras ensuite.

Uranus (bien davantage le livre d'Aymé que le film de Claude Berri) donne une image assez réussie de ces temps troubles.

Pour en revenir à Crésus, je crois que vous ne serez pas déçu : l'âpreté est entière, et mordante ; mais précisément, ce n'est plus le monde de Que ma joie demeure : c'est plutôt celui d'Ennemonde, la tranquille présence du Mal…

Et puisque vous appréciez à tel point Fernandel, puis-je vous conseiller un superbe et méconnu film du grand Julien Duvivier ? Dans L'homme à l'imperméable, il y a, au delà de l'aventure dans laquelle un brave concertiste du théâtre du Châtelet va se trouver happé, une noirceur absolue, une rage désespérée de grogne contre la nature humaine qui sont bien réjouissantes. Quand j'ai découvert ce bijou, il y a deux ou trois ans, lors de son édition DVD, je n'ai pu m'empêcher de songer à After hoursde Scorsese; mais en plus noir, bien plus noir…


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De fretyl, le 1er avril 2009 à 12:53
Note du film : 3/6

La chose vraiment rare dans Crésus c'est vraiment la Provence de Giono. L'auteur souvent adapté par d'autres n'avait jamais trouvé dans l'adaptation de ses romans l'exactitude de ce qu'il considérait comme la Provence.
La plupart du temps au cinéma ou même dans les livres la Provence est faite d'oliviers, d'un soleil qui tape fort, de boules qui claquent ; ici c'est une Provence aride, avec des rafales de vents, des nuages noirs et les personnages s'y gèlent. C'est là certainement la plus grande réussite de Crésus et peut-être même sa raison d'être.
Car en dehors de cet élément régional insolite, le film n'est pas particulièrement réussi. C'est assez moyennement réalisé, pas très drôle (est-ce-que ça devait l'être ?) et joué par des acteurs pas vraiment professionnel.
Dans le fond Giono a réalisé son film comme il écrivait ses livres, sèchement mais surement. Et Fernandel n'a pas grand chose à faire.


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De Romuald, le 1er avril 2009 à 13:53
Note du film : 4/6

Mon cher Frétyl, que je suis très heureux de relire, moyennement réalisé, d'accord. Si je ne m'abuse, c'est la première et dernière fois que le grand Giono passait derrière la caméra. Pas très drole dans son ensemble, d'accord aussi. Bien que certaines séquences vaillent leur pesant d'or !

"-On aurait du faire un pont !"
"-Ou ça ?"
"-Là ! Au milieu de la plaine ."
"-Et a quoi il aurait servi ce pont, y'a pas de rivière ?"
"-A rien ! ça serait un pont !"

Mais dire que Rellys, Sylvie, René Genin, Paul Préboist, ne sont pas des acteurs "professionnels", vous me la baillez belle ….Et puis au fait, c'est quoi, un acteur professionnel ? Tant qu'à Fernandel qui n'y fait pas grand chose, je prétends qu'il nous en apprend un sacré bout sur les illusions que l'on peut se faire sur la nature de l'homme…


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De fretyl, le 1er avril 2009 à 14:20
Note du film : 3/6

Mais dire que Rellys, Sylvie, René Genin, paul Presboist, ne sont pas des acteurs "professionnels", vous me la baillez belle …

Si bien sûr, il y'a quelques personnages secondaires qui sont incarnés heureusement par des acteurs de bonnes figures. Mais je ne pourrait pas vraiment dire quoi, mais on a l'impression en regardant Crésus que c'est un essai cinématographique, un court métrage un peu long, et en dehors des acteurs que vous nommez, on pourrait croire que les autres ont été choisis sur le terrain, sans doute parce-que leurs prestations n'est pas très très bonne.


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De Lagardère, le 24 juin 2009 à 18:38
Note du film : 4/6

J'en étais resté à ma vieille VHS, et je viens de me procurer le DVD Edition ciné-générations. Quelles merveilles ces suppléments sur la vie de Giono ! Le making-off du film, 52 minutes sur le cinéma de Giono, longuement filmé et interviouvé pendant le tournage (32 mns ), très bel et très complet hommage rendu à l'écrivain et à sa provence, plus une version du film commentée par Jacques Mény. Magique !

Le monde est là, j'en fais partie, je n'ai d'autre but de le comprendre et de le goûter avec mes sens. J'ai devant moi le matériel, les champs, la terre, et moi-même comme instrument pour les connaitre…Je fais avec ces deux matières, une expèrience poêtique. Je cherche des images et je les emploie…

Voilà Douze petits euros que je ne suis pas prêt de regretter…


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De Impétueux, le 24 juin 2009 à 23:23
Note du film : 5/6

Quel dommage que Cinégénération, l'éditeur de ce parabolique Crésus se soit tu ! Car avec l'admirable Roi sans divertissement de François Leterrier, Jean Giono, un des plus grands écrivains du siècle passé avait trouvé un scrupuleux illustrateur…


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