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La proie du désir est l'oeuvre commune de Roberto Rossellini et de Marcello Pagliero. Le premier a débuté la réalisation du film à Rome en 1943 et le second l'a terminé dans les Abruzzes en 1945. Des personnages un peu stéréotypés (Riccardo joué par Francesco Grandjacquet, au jeu appuyé n'est pas crédible), une intrigue lorgnant dans sa seconde partie vers Ossessione en nettement moins réussi (on a du mal à croire en la psychologie du personnage joué par Massimo Girotti), sont sans doute des bémols à apporter. Mais ceci est peu par rapport aux qualités artistiques de l'oeuvre. Le ton libre, la sensualité qui émane des actrices, sont remarquables. Certaines scènes (les deux soeurs en sous-vêtements affriolants, allongées sur leur lit, ou l'examen d'une culotte transparente) véhiculent un érotisme torride pour 1945. On croit comprendre que ces images ont été à l'époque censurées. Et surtout, la patte de Rossellini est flagrante. Les premières séquences, portées par la musique de Renzo Rossellini, sont exceptionnelles.

La rencontre entre l'horticulteur et la prostituée au sein d'un café, la visite de cette dernière au sein des serres, l'entrée de la jeune fille dans son appartement (20° minute) par exemple. On suit le personnage féminin entrer chez elle, ouvrir des portes, s'allonger sur son lit. Par le jeu des lumières, des plans, ces instants banals possèdent une grâce infinie. Rossellini apporte pour chaque seconde qui s'écoule une fine modulation des sentiments exprimés, par la voix, les gestes, le regard. Derrière des propos badins, de nombreux thèmes sont traités, en allant à l'essentiel, avec la prise de recul parfaite. En filigrane, est exprimé, à mon sens, par le cinéaste, une vision du monde quelque peu exaltée, mystique (images du ciel), d'obédience catholique (le thème du repentir, de la conscience, des notions de bien et de mal). Ce cinéaste par sa maîtrise parfaite du fond et de la forme, est au cinéma ce qu'une formule 1 est à l'automobile… Le film suivant de Rossellini est Rome ville ouverte qui reprend sur sa longueur entière la magnificence de cette écriture cinématographique.

Avec le recul, il me semble que la clé du cinéma de Roberto Rossellini réside dans le fait d'utiliser chaque seconde du récit pour apporter un élément complémentaire, visuel ou auditif, ce qui confère à l'oeuvre un aspect vivant, organique, en mouvement perpétuel. La musique de Renzo, frère de Roberto, particulièrement sophistiquée dans La proie du désir, joue un rôle essentiel, soulignant, amplifiant les images et les dialogues. C'est évident dès les premières minutes. Sans musique, le film n'a pas la même puissance.

Les explications d'une vingtaine de minutes de Jean Gili (en bonus du dvd), sans doute bien informé après recherches et croisements de témoignages, laissent à penser que la première partie est l'oeuvre conjointe en terme de réalisation de de Santis et de Rossellini, avec des scènes complémentaires tournées par Pagliero. La seconde partie du film aurait été tournée par Pagliero à l'automne 1945. Cette seconde partie est nettement moins réussie que la première, de mon point de vue (mélodrame daté). A mon sens, ce sont les vingt cinq premières minutes qui sont les plus réussies, esthétiquement magnifiques, impeccablement dialoguées, filmées et mises en musique. La marque de Rossellini y est évidente. J'ai du mal à croire qu'il se soit reposé sur de Santis autant que Gili l'affirme. Le coup de maître de Rossellini via Rome ville ouverte provient très logiquement de cet apprentissage réalisé au cours de la première moitié des années 1940.

Une chronique sur ce film Desiderio, bien argumentée, est accessible via le lien ci-dessous. Elle rejoint mon avis.

http://www.avoir-alire.com/la-proie-du-d(..)