Certains films à la réputation établie proposent des confrontations d'idées sur l'état du monde (par exemple Le christ s'est arrêté à Eboli ou Le guépard) permettant au spectateur de se fabriquer un avis. D'autres films déroulent au contraire des idéologies militantes sur la société et les rapports humains. Bubu de Montparnasse (1971) appartient en apparence à cette seconde catégorie : Bolognini délivre une vision pessimiste du monde, marquée par la lutte des classes, la pauvreté et la misère, le suicide, sans échappatoire possible. La plongée aux enfers de la pauvre Berthe, compagne de Bubu, ouvrier anarchiste, est décrite comme un processus inéluctable, partie intégrante d'un déterminisme social, imposé par les structures de l'Italie du début du XX° siècle. Ce cadre-là est logiquement susceptible de déplaire à un spectateur attendant du cinéma d'être caressé dans le sens du poil ou d'être sorti le temps d'une séance, de ses soucis du quotidien.

Bubu de Montparnasse propose pourtant des qualités cinématographiques élevées, particulièrement perceptibles sur grand écran. On a affaire à un classique d'une adaptation d'un récit littéraire d'époque (écrit en 1901 par Charles-Louis Philippe), construit sur un rythme rapide, à partir de séquences se succédant avec fluidité. Des nuances subtiles caractérisent la psychologie des personnages, leurs rapports humains et sociaux. Le portrait du personnage féminin principal est une grande réussite. Les plans soigneusement composés, à l'aide de costumes d'époque, de décors extérieurs réels authentiques, de lumières, de couleurs et d'aspects sonores, portent le sujet et ravissent l’œil. Très paradoxalement, la forme de l'oeuvre célèbre la beauté du monde, la nature, l'architecture urbaine, les bruits et les lumières naturelles, l'activité humaine, et télescope de façon étonnante et peu conventionnelle le sujet traité, produisant au final un ensemble cinématographique atypique.