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Chronique de l'ennui


De Impétueux, le 21 septembre 2018 à 19:49
Note du film : 5/6

Après une nouvelle vision, qui doit être la quatrième ou la cinquième, je suis mieux entré dans le film, que j'avais un peu tendance à juger, jusqu'ici, surévalué et ronflant. Il est vrai que je n'ai pas pour Federico Fellini une attirance majeure, même si j'admets bien volontiers qu'il est un des cinéastes les plus importants du siècle dernier ; mais enfin il est, à mes yeux, comme Orson Welles : un grand bonhomme à qui je n'accroche pas vraiment. Infirmité de ma part, je veux bien, mais on ne se refait pas…

Il est pourtant bien extraordinaire qu'un film ait donné au langage courant une expression (La dolce vita) et un terme (paparazzi) qui se sont imposés sans que la référence soit davantage explicite ; signe, sans doute de l'impact qu'a eu le film lorsqu'il est sorti sur les écrans il y a près de soixante ans. Avait-on, jusqu'alors filmé avec autant d'acuité la maladie sociale de l'Occident, cette fatigue, cette abdication de la vitalité qui s'est depuis lors épandue avec une sorte de rage voluptueuse ? Je n'en suis pas certain et c'est un des grands mérites de Fellini que d'avoir perçu, en plein cœur de la prospérité et du miracle italiens les prémisses du dégoût de soi et de l'épuisement qui nous conduisent jusqu'à notre bel aujourd'hui, incertain et résigné.

Rome est, comme toujours, sublime de photogénie, à toute heure de la nuit, monde fatigué qui sait tout faire avec élégance comme le dit Maddalena (Anouk Aimée) à Marcello (Marcello Mastroianni), qu'il tourne en rond en quête d'exotisme, comme les intellectuels vains de la réception de Steiner (Alain Cuny) ou qu'il ne fasse que survivre dans le souvenir vide de la splendeur passée, comme les aristocrates de la réception où Nico emmène Marcello… Monde désormais sans aventures du confort matériel et de la fin des espérances. Le monde d'où se retire Steiner/Cuny en se tuant et en tuant ses enfants ; un peu comme dans Satyricon les patriciens qui voient surgir les Barbares qui ont franchi le limes. En fait tout ce qui montre l'aboulie, l'acédie, la fatigue, le désenchantement d'un monde épuisé touche fort et touche juste. Et pourtant il n'est pas si facile de montrer la vacuité.

Je crois avoir bien compris que c'est très volontairement que Fellini hache son regard sur la Rome de 1959 et fait éclater son film en petites parcelles à la continuité hasardeuse ; après tout, pourquoi pas ? On se fiche plutôt de ce que devient la volcanique Sylvia (Anita Ekberg) après qu'elle a pris son bain dans la fontaine de Trévi et qu'elle a été raccompagnée par Marcello à son hôtel où son compagnon, Robert (Lex Barker), ex-Tarzan, lui a sûrement fichu une peignée. Et on ne revient pas non plus sur l'hystérie des pauvres gens qui se raccrochent à une apparition de la Madone et aux petits voyants que leurs parents aimeraient bien exploiter (comme, dans La Poison, les commerçants du bourg avec une enfant particulièrement arriérée…). Marcello, où qu'il jette les yeux, où qu'il mette ses pas, ne peut que voir le ver dans le fruit et marcher au milieu des ruines d'une société qui fut forte et qui fut belle.

Je comprends, mais je n'accroche pas bien à cette structure hachée où les péripéties s'effacent au fur et à mesure que le film avance. Et puis Marcello lui-même n'a pas beaucoup de substance : le seul moment où on saisit un peu qui il est, c'est la rencontre avec son père (Annibale Ninchi) ; le seul moment où l'on perçoit qu'il a renoncé à beaucoup de ses espérances, c'est le bref échange qu'il a avec Steiner qui évoque son renoncement à ses ambitions littéraires. Il n'a pas, sinon, la moindre épaisseur.

En 2013 Paolo Sorrentino a réalisé La grande bellezza dont il faudrait être aveugle pour ne pas voir la parenté avec La dolce vita ; pour moi c'est le propre que Fellini a initié avec une sorte de brouillon ; j'admets bien volontiers mon iconoclastie. N'empêche que le personnage de Jep Gambardella (Toni Servillo) a bien plus d'épaisseur, de cohérence et d'amertume que Marcello et que son monde est plus encore déprimant. Mais il est vrai qu'un demi-siècle, et davantage, est passé par là.


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De Arca1943, le 24 avril 2015 à 22:54

«La dolce vita a été – et demeure pour beaucoup – mal compris. On a cru que Fellini avait par ce film fait l’apologie d’une vie de plaisir insouciant alors qu’à l’inverse, il fait au fil des séquences le constat – si ce n’est la critique – d’une décadence de tout un monde.»

Ce que vous dites est très juste. Et il y aurait pas mal d'autres exemples, la plupart moins illustres, de cette vieille confusion – confusion qui, dans certaines circonstances, peut devenir la mère de toutes les censures – la confusion entre montrer et prôner.

Celui qui fait confiance au spectateur, qui tient le spectateur pour libre et responsable, répugne à lui dire trop clairement ce qu'il faut penser de tout ça, à poser dans son film des jalons trop identifiables marquant sa désapprobation ou son approbation de ce qui est montré. Car ce serait faire savoir au spectateur qu'on ne lui fait pas confiance pour penser par lui-même. Ainsi Orange mécanique a été accusé de "faire l'apologie" de la violence ; mais généralement ces accusations viennent de gens qui voient de l'apologie partout, là où il n'y a (le plus souvent) que montrer, décrire, dépeindre. Certains ne supportent pas que le sens ultime à donner à une œuvre de fiction puisse reposer entre les mains du spectateur et non dans celles de telle autorité de tutelle, église, critique de cinéma, groupe militant, parti, etc.

Un des beaux cas de ce genre est celui des deux interprétations diamétralement opposées de la comédie satirique Au nom du peuple italien, un très fort Risi de 1971. Selon qu'on est soi-même de telle opinion (sur la nature humaine, sur la société, sur la politique, sur la justice, etc), alors on interprète un certain geste commis à la fin du film par le juge d'instruction (Tognazzi) dans un sens (apologie) ou dans le sens rigoureusement contraire (dénonciation). S'il y a place ainsi pour deux interprétations opposées à la toute fin du film, c'est que les auteurs se refusent à conclure à la place du spectateur, présumé libre et adulte citoyen d'une République : ils se contentent de nous raconter une histoire, et c'est à nous de nous débrouiller. J'ai même – immodestement – un nom pour ça : la liberté d'impression.


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Paparazzo, paparazzi...


De DelaNuit, le 23 novembre 2008 à 12:52
Note du film : Chef-d'Oeuvre

La biographie d'Ava Gardner par Lee Server récemment éditée en France aux presses de la cité révèle la génèse de ce film :

Alors qu'Ava se trouvait à Rome en cette fin des années 50 pour le tournage de La maja nue, les studios de Cinecitta recevaient de plus en plus de tournages de grosses productions hollywoodiennes délocalisées en Europe, et les lieux chics de la capitale, dont la fameuse Via Veneto, voyaient défiler tout un monde de stars et de célébrités richissimes ou espérant le devenir. C'est l'époque où les italiens moins fortunés tournaient à leur avantage ce soudain déferlement en se muant en photographes, poursuivant lesdites célébrités toute la nuit dans l'espoir d'un cliché original susceptible d'intéresser la presse à scandale…

Les multiples frasques nocturnes d'Ava, ses nombreuses aventures (dont une liaison avec Anthony Franciosa, l'interprète de Goya dans le film, par ailleurs marié à Shelley Winters, d'où quelques crêpages de chignon) attiraient les photographes comme le miel attire les abeilles…

Or, Ava, traumatisée par une chute de cheval dans une arène espagnole où elle tentait de toréer par une nuit d'ivresse, ayant laissé sur sa joue une monstrueuse équimose qui avait failli détruire à jamais sa beauté, craignait de plus en plus les photographes et les journalistes…

D'autant plus que la technique photographique de l'époque imposait l'utilisation de flashes énormes au crépitement violent, les clichés devant être pris au plus près possible pour donner quelque chose d'utilisable… d'où un certain nombre d'altercations entre les vedettes et ces semi-professionnels du scandale, n'hésitant pas à provoquer celui-ci le cas échéant.

Une nuit en particulier, un groupe de photographes fit parler de lui dans la presse pour avoir été rossé par les gardes du corps du roi Farouk, qu'ils avaient approché de trop près, puis une bagarre avec Ava et son amant… Les détails de l'affaire firent les premières pages des journaux romains. On raconte alors que Federico Fellini, qui avait en tête d'écrire un scénario sur les moeurs romaines de l'époque et cette jeunesse décadente, s'inspira de ces événements pour écrire… La dolce vita !

Le personnage interprété par Anita Ekberg dans ce film serait d'ailleurs directement inspiré d'Ava Gardner. On comprend mieux pourquoi Anita danse pieds nus avec l'équipe de tournage d'un film à Cinecitta et part en virée avec le premier admirateur venu la nuit dans les rues de Rome… On comprend mieux aussi pourquoi elle porte dans une des scènes un costume, inspiré d'un habit ecclésiastique, qui fit scandale à l'époque, réplique d'un vêtement porté alors par … Ava Gardner, et qui avait été créée pour elle par ses couturières romaines attitrées, les soeurs Fontana !

A noter que l'un des héros du film La Dolce Vita, un photographe nommé Paparazzo (ne s'agit-il pas du personnage interprété par Marcello Mastroianni ?) vit son nom réutilisé et devenir un nom commun, celui de "paparazzi", un nom et une profession qui, des folles nuits romaines aux piliers du pont de l'Alma, fait toujours beaucoup de bruit et couler beaucoup d'encre…


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De PM Jarriq, le 3 septembre 2006 à 18:09

Me convaincre ? Non… Je voulais dire que La dolce vita ne permet pas d'échanges aussi enflammés et de mauvaise foi hilarante que le "blême" JLG, dont aucun film ne m'a intéressé autant que ce forum.


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