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Conte cruel et élégant


De vincentp, le 9 décembre 2017 à 22:01
Note du film : Chef-d'Oeuvre


Revu aujourd’hui sur grand écran, à l’occasion d'une pile centième séance à la Cinémathèque depuis le 4 septembre 2016, une semaine après avoir revu Lettre d’une inconnue (1948), autre chef d’œuvre de Max Ophüls. Madame de… (1953) et Lettre d’une inconnue se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Un style mi-classique, sobre et élégant, mi-baroque. Les décors sont surchargés de figurants et d’objets, accueillent des personnages et une caméra opérant des mouvements incessants. Rappelons pour nos lecteurs, les fans éplorés de Johnny et ses amis des médias que le baroque, « dont l’origine remonte au XVI° siècle, touche tous les domaines, et se caractérise par l’exagération du mouvement, la surcharge décorative, les effets dramatiques, la tension, l’exubérance, la grandeur parfois pompeuse et le contraste » (Wikipédia). Dans deux cent ans, on parlera encore du franco-germanique Ophüls, on en espère autant pour le sympathique franco-belge Johnny…

Madame de… ne fait pas dans la demi-mesure : enchaînement de péripéties mélo-dramatiques ou comiques extravagantes (duel au pistolet, anoréxie, protocole bousculé à l'opéra…). Le rythme rapide et des pointes d’humour issues des réflexions pleine d’esprit du Comte (Charles Boyer) font accepter l'ensemble par le spectateur. Boyer constitue la figure centrale de Madame de… et éclipse quelque peu Danielle Darrieux alors que c’est Joan Fontaine qui s’impose comme vedette pour Lettre d’une inconnue face à Louis Jourdan. En arrière-plan de Madame de…, est dressé un portrait nuancé et élaboré de la France éternelle, comme pour des œuvres cinématographiques de premier plan des années cinquante (La traversée de Paris par exemple). Les décors intérieurs et extérieurs sont intégrés avec soin par Ophüls dans le récit. Au détour d’une image, on reconnait l’église Saint Germain de Chatenay-Malabry (aujourd’hui située dans les Hauts de Seine).


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De Impétueux, le 16 juin 2008 à 19:15
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Tout le secret de Madame de…, cette étincelante valse triste, tient dans le carton qui clôt le générique et dont la rédaction est, je crois, de la main de Marcel Achard, adaptateur éclairé au cinéma du court roman de Louise de Vilmorin : Madame de… était une femme très élégante, très brillante, très fêtée. Elle semblait promise à une jolie vie sans histoire.

Tout le secret est dans cette jolie vie mise à l'imparfait, jolie vie de relations mondaines, de bals gracieux, d'hôtels particuliers, de serviteurs zélés, de courtoisie extrême, vie qui semble toute de frivolité et qui paraît confiner ceux qui la vivent à la seule apparence.

Il ne faut pas s'y tromper ; sous les oripeaux de l'inconsistance élégante, il y a la façon dont le Général-Comte de… va avertir sa femme qu'elle est bien prête de commencer à s'égarer dans la folie passionnée d'une rencontre : Notre bonheur conjugal est à notre image : ce n'est que superficiellement qu'il est superficiel.

Et de fait, le récit, qui commence en comédie et même presque en farce (à preuve le manège du joaillier (Jean Debucourt) et de son jeune fils (Serge Lecointe) lors de la première visite de Madame de… et de la première cession des bijoux), va graduellement devenir plus grave et se transformer en histoire de passion si folle qu'elle s'achèvera par une double mort.

Comme La Ronde, du même Max Ophuls, adaptée du flamboyant Arthur Schnitzler, la structure de Madame de… est une structure en boucle, procédé adroit, d'aspect un peu artificiel, mais finalement très propice par son artificialité même, par la distance qu'il introduit avec le lecteur (ou le spectateur) à appeler son regard à la clairvoyance et à la lucidité. L'anecdote est funambulesque, habile, d'une invraisemblance absolue, d'une grande légèreté, mais c'est précisément cette légèreté même qui la guidera vers la tragédie. Les boucles d'oreille en diamants qui passent aux mains des protagonistes pour revenir toujours là d'où elles n'auraient jamais dû partir – le boudoir de Madame de… – n'ont, évidemment, pas plus de réalité que le cheminement amoureux en dominos de La Ronde ; mais dans l'un et l'autre film, ce que l'on voit le plus, c'est ce qu'on pourrait appeler la constance de l'inéluctable, c'est-à-dire l'impossibilité de faire que les choses ne soient pas.

Et ce qu'il n'est pas possible d'arrêter, c'est que le flirt élégant de Madame de… et du baron Donati, engagé presque par hasard à la faveur de rencontres fortuites (un quai de gare, une calèche) ne se transforme pas en passion brûlante, alors même que le Général-Comte de… fait tout pour mettre en garde sa femme sur la catastrophe prévisible, par obligation mondaine, sans doute mais surtout, simplement, parce qu'il l'aime.

Danielle Darrieux, dans l'éclat absolu de sa trentaine, est d'une beauté et d'une distinction extrêmes ; son jeu tout de finesse fait absolument ressentir la transformation d'une jeune femme frivole, un peu creuse, un peu tricheuse, en amoureuse passionnée, mais dont l'enfermement dans le mensonge entraînera la mort par consomption. Vittorio De Sica incarne un baron Donati absolument charmeur, homme à bonnes fortunes, d'évidence, pris lui aussi dans les mailles du filet, ne pouvant s'en sortir que par une rupture qui l'accable, d'abord, puis par cet absurde duel du petit matin dont il sait qu'il ne sortira pas vivant.

Mais, à mes yeux, le plus beau rôle du film est celui de Charles Boyer, homme à femmes, lui aussi, mais profondément amoureux de sa femme, d'un amour qui est bien loin de n'être que de l'amour-propre. Son beau visage classique a juste ce qu'il faut de veulerie, de facilité un peu décadente pour représenter le Général-Comte de…, sanglé dans ce milieu de codes figés, de strates sociales, de jeux de rôles, de postures, de mesure, de retenue courtoise, et qui parvient pourtant à être absolument bouleversant parce qu'il est absolument blessé, au delà des apparences de la comédie sociale (Je n'ai pas un goût particulier pour le personnage que vous avez fait de moi.)

Tout, dans le film d'Ophuls, est fragile et palpitant : les dialogues, pleins de cruauté, de tristesse contenue, d'esprit aussi (C'est peut-être une façon de quitter les femmes que de les laisser partir), la musique, à la double ligne mélodique (deux compositeurs : Oscar Strauss, Georges van Parys), l'une brillante et dorée, l'autre rose et grise, et tout autant la caméra enchantée du réalisateur qui suit les valseurs avec une grâce inimitable.

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Un DVD zone 2 a été édité en Grande-Bretagne ; si restauration de l'image il y a, elle n'est pas formidable et – hélas ! – les sous-titres ne peuvent en être ôtés ; deux suppléments convenables, ce qui est peu pour un pareil chef-d'œuvre.

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Dieu merci depuis que ce message a été écrit, la remarquable édition attendue, dans un coffret qui comprend aussi La Ronde, Le Plaisir et Lola montes


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demande de réedition en DVD


De adela, le 1er février 2007 à 16:25
Note du film : 6/6

Madame de , comme par ailleurs d'autres films d'Ophuls (lettre d'une inconnue, Liebele…) est un des plus beaux films de l'histoire. On réédite bien de nanars et on tarde à sortir les très grands chefs d'œuvre. Pourquoi?


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Dans une bonne édition s'il vous plaît !


De Impétueux, le 1er mars 2006 à 19:18
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Taratata ! Je n'ai rien contre René Château quand il édite La Patellière ou Le Chanois ; mais – et cela reprend aussi plusieurs fils de conversation – il est des artistes que l'on souhaite voir édités de la plus belle des manières : image et son nettoyés, kyrielle de suppléments, emboîtages élégants…

Mon obsession n'est pas René Château, qui édite de délicieux nanars qui ne seraient jamais récupérés par Arte ou Karmitz, mais l'incohérence de la politique éditoriale, et l'absence d'engagement du CNC ou de la Cinémathèque pour des éditions raisonnées, comparables à ce qu'est La Pléiade, en littérature.


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De RdT, le 1er mars 2006 à 17:19

L'obsession «surtout pas René Château…» vaut bien mon noble combat en faveur d'Ivana Karbanova, non? Ceci n'étant dit que pour vous approuver.


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