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La double nature de l'Espagne


De Impétueux, le 28 décembre 2009 à 19:01
Note du film : 4/6

Charles Quint, qui s'y connaissait, a émis un jour cet aphorisme sans doute un peu caricatural, mais loin d'être insensé : Les Allemands ont l'air sage et sont fous ; les Français ont l'air fou et sont sages ; les Espagnols ont l'air fou et sont fous.

Il y a de la folie, c'est vrai, Outre-Pyrénées, à la fois de cette folie nécessaire qui a jeté des milliers d'aventuriers magnifiques à la découverte du Globe et de la folie orgueilleuse qui a confiné longtemps l'Espagne dans une sorte d'arrogance méprisante envers le reste du monde…

Tristana est un film passablement fou, comme le furent les dernières œuvres de Bunuel, tissées de contradictions et de bizarreries, vénéneuses et attachantes, malsaines et séduisantes tout à la fois, emplies de personnages complexes et dérangeants…

Il y a beaucoup de folie chez Don Lope, (Fernando Rey), tuteur de Tristana (Catherine Deneuve), soucieux de faire échapper le voleur à la police et de se classer toujours aux côtés des faibles, qui refuse de travailler, qui est de conviction socialiste (sans doute au sens de Paul Lafargue, gendre de Karl Marx et auteur du Droit à la paresse), Don Lope tout aussi également imbu de sa condition de bourgeois de Tolède, pour qui les serviteurs sont faits pour éviter aux maîtres la déchéance des tâches domestiques.

Singulier Don Lope si soucieux de points d'honneur et, en même temps, coureur acharné de jupons, et pourfendeur éloquent de toute morale sexuelle, ne respectant, en ce domaine, que deux choses, la femme d'un ami, et l'innocence virginale (je me suis demandé, d'ailleurs, si Bunuel ne s'était pas un peu inspiré, pour créer son personnage, de Léon Blum, autre bourgeois esthétisant qui se fit d'abord connaître par un essai jugé scandaleux, Du mariage, où il prônait une liberté sexuelle à très vastes contours).

Il n'y a pas lieu de penser que l'affirmation faraude d'un Lope loyal envers ses amis résiste bien à un profond examen ; parce que, contrairement à ses déclarations péremptoires, il respecte si peu l'innocence de sa pupille qu'il la met dans son lit et nourrit pour elle une passion de nature presque incestueuse, mêlée rapidement de sa fascination pour sa propre déchéance.

Car Tristana elle-même n'est pas tant oiselle que ça ; se laissant peloter sans trop de difficultés – ni trop de complaisance, il est vrai – par des galapiats sourds-muets (fascination habituelle de Bunuel pour l'infirmité), puis maîtresse hypocrite, amoureuse sans doute insatisfaite, frappée monstrueusement par la maladie et enfin épouse aigrie, méchante et perverse d'un Lope humilié, elle est odieuse et presque criminelle…

Tout cela se passe sur une terre et dans une ville austères, à une époque indéterminée, mais que je situerais volontiers entre 1930 (fin de la dictature du général Primo de Rivera) et février 1936 (arrivée au pouvoir du Frente popular), c'est-à-dire à un moment où l'Histoire retient son souffle, dans l'attente d'un cataclysme : tout est d'apparence identique, (les remparts cyclopéens de la ville, les mantilles des dames, les curieux chapeaux en cuir bouilli de la Garde civile, les autels couverts d'or des églises), mais quelques années plus tard le pays sera le laboratoire des conflits européens futurs.

Bunuel tourne une histoire oppressante en la confinant dans des tonalités toujours ternes, grises, brunes et noires ; les quelques rares tâches de couleur sont autant de signes malsains : revers pourpres de la cape de Don Lope, sièges cramoisis de la salle à manger, jusqu'à la hotte rouge vif qui sert d'éventaire à un montreur de loterie, qui, à la criée, s'intitule, pour rameuter le client, marchand de plaisir.

Plaisir, d'ailleurs, tout est peut-être là. Ou n'y est pas, précisément. Récit d'une fascination morbide, chronique de deux déchéances parallèles et hostiles, Tristana est un film étrange, qui laisse une louche impression de malaise…


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De jipi, le 10 décembre 2007 à 17:19
Note du film : 3/6

« Je suis ton père et ton mari, tantôt l'un tantôt l'autre «.

Cette phrase révolutionnaire se distille derrière des volets clos. A l'air libre Tolède est empoussiéré par des mœurs rigides évacuées par le délire d'une phraséologie audacieuse mais non opérationnelle en temps réel.

Dans un café, un parfum d'audace individuel libertin déconseille le mariage, prône la passion dépareillée en l'imposant à une Pupille devenant presque par force la maîtresse d'un tuteur machiste.

Ce nouveau statut active un processus de domination pervers accompagné de l'entame d'un enlaidissement. La fraîcheur se fane en s'habillant de mutilation envers elle-même et d'abandon envers un tyran aux colères froides ayant terrassé le parcours d'une grâce juvénile.

Un vieux beau entretenu par ses propres théories de conservations passionnelles s'accapare la désinvolture de jeunes années dans une Espagne de début de vingtième siècle moisie par des mœurs privant chaque individu d'une existence extérieure de pulsions révélatrices d'un autre soi-même.

Le notable officiellement puritain officieusement débauché toise un jeune rival par l'invitation au duel, celui-ci répond par le poing. L'approche ancestrale de la gestion d'un conflit est confrontée à un besoin de liberté existentielle s'exprimant par une main serrée tentant dans un geste désespéré d'éradiquer des siècles de dépendances morales.

Les jouissances personnelles s'attisent dans les ruelles en groupe par la condamnation à l'unisson de chaque écart amoureux. Le site est diabolisé tout en étant noyé sous les statues de la vierge.

Luis Bunuel offre un « Tristana » long, triste, ennuyeux truffés de visages rigides, éteints en chignons bannis de sourires exprimant une maigreur Ibérique cérébrale truffée de commandements négatifs.

Environné de couleurs noires, le site croule sous les icônes, rongé par les rigueurs de l'éthique Tolède s'adonne secrètement aux passions de l'interdit dans un double visage représenté par la double personnalité du despote domestique, de la bigote hystérique et du voyeur refoulé.


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