Accueil
Voici les derniers messages de ce forum :

Dénote et détone


De Impétueux, le 27 septembre 2014 à 21:55
Note du film : 5/6

Ce n'est pas parce qu'on a de petits moyens financiers qu'il faut avoir de petites ambitions. Filmer en 2014 la conversion d'un musulman et son adhésion au christianisme n'est pas tellement dans le vent de l'Histoire, au moins telle que la racontent les médias. Mais Cheyenne Carron est une jeune réalisatrice pleine de courage et d'une belle folie. Une femme qui a l'habitude de se battre à contre-courant, comme elle l'a conté dans son autobiographie, La fille publique, qui mettait à nu sa condition de pupille de l'État. Elle a été amenée à lutter contre le monde entier pour s'inclure, grâce à une famille d'adoption qu'elle aime avec passion, dans le tohu-bohu du monde du cinéma, qui ne lui a jamais accordé la moindre aide, alors que le CNC et les chaînes de télévision sont bien plus prodigues avec des nouveaux venus qui sont loin d'avoir son talent.

J'ai un peu hésité à rédiger un message sur L'apôtre, sur ce sujet extrêmement sensible qui va sortir sur les écrans le 1er octobre, alors même que notre pays est secoué par un crime épouvantable et amené à engager une guerre dont on ne sait comment elle finira. Mais, si la conjoncture est particulièrement délicate, ce n'est sans doute que parce qu'elle rencontre une sorte d'évidence fatidique : tout cela devait bien arriver.

L'apôtre, que j'aurais plutôt appelé du véritable nom de son sujet, L'apostat relate donc les quelques mois qui voient la vie d'Akim (Fayçal Safi), jeune musulman issu d'une famille pieuse, mais tolérante et ouverte, qui se destine, avec son frère Youssef (Brahim Tekfa) à devenir imam, comme l'est leur oncle Rachid (Touffik Kerwaz). Sans doute se pose-t-il des questions mais c'est dans l'effarement de l'attitude d'un prêtre catholique, dont la sœur vient d'être assassinée et qui choisira de rester au milieu de la cité, aux côtés de la famille de l'assassin, pour, dit-il, l'aider à vivre, c'est-à-dire supporter le désarroi et l'horreur de l'assassinat, que sa vie va commencer à basculer.

Effarement devant une attitude de parfaite charité ; ébranlement, ensuite, lors du baptême de l'enfant d'un jeune couple de catholiques sociologiques, dont il est devenu très fortuitement l'ami. Le baptême, qui donne lieu à une très belle scène, grave et gaie tout à la fois, marque le début d'un cheminement qui va conduire Akim, guidé par le prêtre (Yannick Guérin) à la conversion, donc à l'apostasie de sa foi musulmane, ce qui est tenu pour un crime insupportable pour le Coran. Il affrontera durement, de ce fait, ses camarades musulmans et son frère Youssef, qui ne peut comprendre ce qui se passe en lui.

Le sujet est ambitieux ; il est traité avec une intelligence et une subtilité exceptionnelles, sans manichéisme et caricature ; ceux qui peuvent ne pas s'intéresser aux questions de la spiritualité et de la foi trouveront L'apôtre singulièrement loin des sujets de société et des agressivités politiques qui font actuellement le miel des débats télévisés : c'est qu'il va chercher plus loin, plus haut, devrait-on dire, sa singularité ; si Cheyenne Carron est une jeune chrétienne à la Foi éclatante, elle n'a pas une démarche polémique, agressive, combattante envers l'Islam : elle observe avec beaucoup de subtilité et d'émotion le processus délicat de la conversion, de la graine qui surgit et qui grandit dans un cœur.

Le film a été tourné avec des bouts de ficelles et des financements improbables, explique la réalisatrice dans le supplément commenté. Comment dire, pourtant, que ça se voit à peine et que l'ingéniosité du filmage et le talent de tous les participants pallient la modestie des moyens ? Les acteurs sont d'une parfaite vérité, y compris dans les scènes, fort nombreuses, où les dialogues sont improvisés ; la musique, discrète et fort belle, s'impose dans les séquences où elle est employée ; la photographie, souvent dans de beaux tons bleus-gris, est parfaite et le récit est maîtrisé avec une étonnante fluidité.

Mes réserves ne sont que vénielles, presque anecdotiques, comme celle de voir le prêtre, par ailleurs tout de bonté, de bienveillance, d'ouverture et de générosité, porter une soutane intégriste, ce qui n'est plus de mise depuis le Concile et sûrement très improbable dans la banlieue où est tourné le film et ne ressemble pas à l'intelligence du personnage. Mais ceci n'est pas grand chose.

Pour voir un peu plus loin que le bout de son nez, il faut aller à la rencontre de L'apôtre.


Répondre

Installez Firefox
Accueil - Version bas débit

Page générée en 0.0032 s. - 6 requêtes effectuées

Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter