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Critique


De dumbledore, le 5 février 2004 à 11:59
Note du film : 5/6

L.I.E c’est tout à la fois « mensonge » en anglais et les initiales de la Long Island Expressway qui traverse les Etats-Unis d’Est en Ouest. Seulement nous dit le narrateur, cette route est également meurtrière. Elle a tué et tue encore, d’Alan J. Pakula à la propre mère de ce jeune homme de 15 ans qui nous raconte son histoire.

Dès la première scène tout est dit, avec cette voix qui nous présente la Long Island Expressway et ce jeune homme qui monte sur le rebord d’un pont pour se maintenir en équilibre, menaçant de tomber, tenté surtout de tomber. Howie Blitzer restera en équilibre tout au long du film, mais en un équilibre de plus en plus instable à mesure que les mensonges

le frappent de plein fouet : mensonges d’un ami ambigu et séducteur qui le trahit, mensonges d’un père malhonnête dans ses affaires et qui se rabat sur lui, mensonges pour finir de Big John, pédophile accompli.

L’homosexualité et la pédophilie sont le fil conducteur du film. Howie est montré dès le début du film comme étant tenté par des choix homosexuels. Le film montre finalement comment un jeune homme pas sûr de sa sexualité, maladroit et surtout mal dans sa peau peut facilement tomber entre les mains d’un pédophile qui se définit comme « le meilleur suceur de bite de cette moitié du pays ». Sujet complexe, mais heureusement Michael Cuesta a reussi à trouver la bonne distance pour raconter cette histoire.

D’un côté, il évite totalement le côté glauque, voyeur et complaisant qu’un tel sujet peut encourager, mais d’un autre côté il évite la dénonciation facile. Le personnage de Big John incarné de main de maître par Brian Cox est d’une rare complexité. On le sent à la fois terriblement dangereux, mais également terriblement… « humain ». Il est paradoxalement le seul personnage du film qui est à l’écoute de Howie. L’idée géniale dans la construction de ce personnage c’est de ne jamais l’avoir fait entreprenant. Il est tellement sûr de la psychologie de Howie qu’il sait qu’attendre suffira. Le jeune homme finira dans son lit… Justement parce qu’il l’écoute et que finalement l’adolescent n’a que lui.

Pour voir derrière cette idée la vraie thématique du film, il n’y a qu’un pas, qu’on peut aisément franchir. Le choix et la présentation de Long Island Expressway (unissant l’est et l’ouest) comme symbole des Etats-Unis (car unissant l’est et l’ouest) pousse à dire que le film est également une fable sur les Etats-Unis d’aujourd’hui (et la culture occidentale par la même occasion), rappelant la démission des instances supérieures (parents, adultes, école) face aux adolescents et c’est justement cette dimension qui rend les adolescents si en danger…


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LIE et Walt Whitman


De pavel-anton, le 6 février 2003 à 19:08

Bon Dieu ! Faut-il qu'il soit partout ce satané Walt Whitman. A chaque fois que je pense avoir trouvé un relatif équilibre dans le confort douillet de quelques habitudes, le voici qui resurgit comme un spectre sous les traits d'un adolescent reprenant ses vers, me rappelant ce que je fus moi-même dans les années soixante dix lorsque je découvrais une poésie plus forte que celle de Baudelaire, aussi profonde et iconoclaste que celle de Rimbault. C'était l'époque où la vaniteuse beat génération rouvrait ce monument de la littérature américaine et se l'appropriait en redécouvrant son sens véritable.

Ce fut Todd Anderson (Ethan Hawke) et le professeur Keating (Robin Williams) qui me rappelèrent Whitman, une première fois en 1990 dans l'adaptation par Peter Weir du roman de N.H. Kleinbaum, « Le cercle des poètes disparus » ; Todd s'adressait à Keating, sublime Robin Williams en professeur non conformiste, en prononçant avec force le fameux « O Captain ! My captain » de Whitman. C'est aujourd'hui Howie (éblouissant Paul Dano) dans L.I.E. de Mickaël Cuesta, livrant un peu de lui même à Big John Harrigan (Brian Cox) au travers de quelques vers de « Out of the Cradle Endlessy Rocking », inoubliable poème de l'enfant et de l'oiseau.

Singulièrement "L.I.E" vient de sortir en France au moment même où Scorsese présente « Gangs of New York » qui de l'avis de tous s'inscrit dans la droite ligne de « Naissance d'une nation » de David Wark Griffith (1915), tout comme L.I.E. évoque « Intolerance » du même Griffith (1916) dont la première scène, est une référence directe au premier vers de « Out of the Cradle Endlessy Rocking ». Ce n'est donc pas un hasard si au travers de cette double référence à Whitman et à Griffith, Hollywood et le cinéma américain indépendant éprouvent le besoin de nous rappeler aujourd'hui que le rêve américain réside dans l'expression d'un idéal fondé sur la tolérance, le rassemblement des tous les proscrits et de tous les opprimés, l'affirmation enfin de cette espérance que Whitman avait si bien su exprimer. Car au travers de ces deux films, si différents et pourtant si proches, ce qui est affirmé avec force par Scorsese et par Cuesta, ce sont bien toutes les contradictions d'une Amérique qui s'est voulue terre promise tout en devenant peu à peu lieu d'exclusion. Une Amérique où la recherche de soi de Howie, un adolescent, jeune poète américain pratiquant le français et reconnaissant un Chagall du premier coup d'œil, se heurte à la grossièreté et à l'absence de culture du monde qui l'entoure, à l'incompréhension d'adulte absents en ne lui offrant d'autre alternative que de s'en remettre à une apparente normalité fondée sur le mensonge.

Le mensonge est le leitmotiv de « L.I.E. » comme il est celui de « Gangs of New York ». Amsterdam Vallon-Leonardo di Caprio doit être ce qu'il n'est pas pour pouvoir accomplir sa vengeance et Howie-Paul Dano, accablé par le mensonge de tous ceux qui l'entourent ne peut être lui même que dans l'intime confidence de son journal et de ses rêves. Au travers de ces mensonges, elle-ce seulement l'Amérique qu'il nous est donné de voir. Que reste-t-il de l'espérance de Whitman qui écrivit « O Captain ! My captain» au lendemain de l'assassinat de Lincoln, épilogue amer de la guerre de sécession et de la sanglante émeute relatée dans « Gangs of New York ». Whitman fut et demeure le poète de l'Amérique parce qu'il fut le premier qui exprima avec force le rêve américain, cette utopie offerte à tous les hommes avides de liberté de pouvoir devenir tels qu'en leurs rêves ; ce rêve américain qui fut à l'origine des plus sublimes réalisations et des plus grandes inégalités. Whitman exprimait tout cela alors même qu'une élite économique accédait soudain à un niveau de richesse rarement atteint dans l'histoire et que les inégalités les plus fortes transformaient l'Amérique en une société de classe. « L.I.E. » et « Gangs of New York » sortent également au moment où Paul Krugman, l'économiste qui fait peur aux républicains, comme le souligne « Courrier International », dénonce, dans le « New York Times Magazine », l'émergence d'une nouvelle classe de possédants qui accaparent toutes les richesses. Ce n'est pas une coïncidence, mais bien la révélation d'une société américaine à la croisée des chemins et qui s'interroge depuis le 11 septembre sur ce qu'elle a fait de ses talents.

Scorsese semble nous dire qu'il y a encore un avenir quand Cuesta demeure partagé entre le doute et l'espoir. En regardant ces deux films, nous sommes obligés de penser que face à cette situation, cette guerre injuste et sans fondements, inique et dérisoire, que le Pentagone nous prépare est la seule alternative offerte par Bush, comme une fuite en avant pour ne pas affronter un phénomène qui le dépasse, comme une solution de facilité pour une société qui n'aurait plus foi en son avenir. La guerre serait ainsi pour Bush, un régulateur économique et social ; un générateur de sens et de cohésion dans un pays qui a perdu la tête ; un exutoire pour une jeunesse sans idéal. En croyant définir une noble cause pour le peuple américain comme Lincoln l'avait fait en son temps en s'élevant contre l'esclavage Bush croit pouvoir maintenir l'union. Mais Bush n'a pas la dimension de Lincoln et aucun Whitman ne se lèvera pour proclamer :

The ship has weather'd every rack, the prize we sought is won,

The port is near, the bells I hear, the people all exulting,…. »

L'Amérique demeure en équilibre, comme Howie sur la barrière surplombant la Long Island Expressway, dans l'attente d'une improbable solution.

Clin d'œil à Leonardo Di Caprio dans le Titanic ou référence au « Cercle des poètes disparus », cette scène d'ouverture de « L.IE. » où Howie tend les bras au ciel, vers un destin qu'il veut pouvoir choisir, comme Todd, debout sur sa table d'écolier, faisant siens les mots de Whitman. Howie, soudain maître d'un monde dérisoire où les flots de l'Atlantique ont cédé la place au flot ininterrompu des véhicules fonçant sur la L.I.E.. Et la même question lancée à la face de l'Amérique : qu'as-tu fait de ton idéal ? Que sont devenus tes enfants ? En se jetant dans le vide, Howie aurait choisi la mort. Le film aurait pu s'achever comme il avait débuté, et nous l'aurions compris et accepté : il n'y avait pas d'espoir. Mais une autre solution existe dans la révélation de Big John. Car Big John incarne bien l'Amérique, monstrueuse et perverse qui détruit ses enfants. Big John est l'ogre de nos contes, c'est à dire pour nos psychanalistes tout à la fois le père castracteur et destructeur mais également le monde séducteur et injuste n'offrant d'autre avenir que celui de la soumission et de la perversion. Singulièrement, cette rencontre marque une double rédemption, et c'est bien là que réside la formidable force de ce film et son espérance, telle qu'aurait pu la proclamer Walt Whitman. En acceptant de se livrer à Big John (Brian Cox époustouflant de justesse) , Howie accepte ce qu'il est ; la révélation difficile de ses aspirations les plus profondes, même s'il y a encore confusion dans ses sentiments entre la tendresse d'un père et celle d'un amant. Et face à cet adolescent frondeur, ce poète de seize ans, rimbaldien jusque dans l'auto-destruction, Big John s'efface et se contente d'être un guide, c'est à dire un découvreur et un soutien. Cuesta croit encore à la rédemption de l'Amérique et on voudrait le suivre sur cette voie, mais notre propre quotidien nous fait peur et nous impose de la retenue.

Car cette question, en définitive, nous est posée également à nous Européens, repus, jaloux et suffisants, dont les enfants doivent affronter les mêmes désillusions. L.I.E., c'est la banlieue où grandissent ces mêmes adolescents sans espérance et dont les rêves viennent se briser contre les murs de tous nos égoïsmes. Ne sommes nous pas, nous même, justement en train de jeter aux orties nos propres idéaux ? Les jeunes qui grandissent aux confins des villes, enfants des classes moyennes et du prolétariat, et encore aujourd'hui enfants de la ruralité, aspirent eux aussi à se faire entendre, à se faire comprendre, à révéler leurs dons, à exprimer leurs espérances. En cela Michaël Cuesta rejoint Ken Loach et son héros de « Sweet sixteen ». Howie (Paul Dano) et Liam (Martin Compston) sont comme le garçon de « Out of the Cradle Endlessy Rocking » de Whitman qui prend ainsi, outre-Atlantique comme en Europe, une nouvelle dimension.

« And every day I, a curious boy, never too close, never disturbing them,

Cautiously peering, absorbing, translating.

Shine! shine! shine!

Pour down your warmth, great sun!

While we bask, we two together.

Two together!

Winds blow south, or winds blow north,

Day come white, or night come black,

Home, or rivers and mountains from home,

Singing all time, minding no time,

While we two keep together. »

L.I.E. est une fable sur l'Amérique. Big John incarne le passé et Howie, l'avenir. L'avenir ne peut se révéler que dans la compréhension et la remise en cause du passé, mais le passé porte l'avenir, c'est à dire que ce message de rédemption réside dans le pardon, même s'il faut mettre un terme aux erreurs passées, c'est à dire que Big John soit tué par celui qu'il a abusé. Big John, c'est Big Apple et c'est Ground Zero ; c'est l'Amérique d'avant le 11 septembre qui ne prend conscience d'elle même que dans la découverte de l'espérance qu'incarne ses enfants laissés pour compte et renonce à son cynisme et à son égoïsme de jouisseur. Howie c'est l'Amérique au formidable potentiel qui ne peut plus se révéler et s'épanouir. Elle est l'héritière de l'Amérique de la marginalité intellectuelle, que l'on a choyée sans jamais la comprendre et qui s'est endormie après les grandes luttes des années soixante et soixante dix, dans le confort douillet de la middle class et de la croissance économique. L'Amérique enfin de la beat-generation exaltée par la redécouverte de Walt Whitman ; une Amérique qui ne demande qu'à vivre, forte de ses différences et de ses contradictions, de son intelligence et de son imagination ; la seule alternative, le seul remède au délires schizophrènes de Bush junior. Et par delà l'Atlantique, Howie s'incarne dans nos propres enfants qui aspirent à vivre et que nous ne devons plus décevoir.

Bon Dieu ! Walt Whitman, vieux compagnon, je te retrouve et « Song of myself » résonne encore pour que tout soit de nouveau possible :

« Unscrew the locks from the doors!

Unscrew the doors themselves from their jambs!

Whoever degrades another degrades me,

And whatever is done or said returns at last to me.

Through me the afflatus surging and surging, through me the current and index.

I speak the pass-word primeval, I give the sign of democracy,

By God! I will accept nothing which all cannot have their counterpart of on the same terms.

Through me many long dumb voices,

Voices of the interminable generations of prisoners and slaves,

Voices of the diseas'd and despairing and of thieves and dwarfs,

Voices of cycles of preparation and accretion,

And of the threads that connect the stars, and of wombs and of the fatherstuff,

And of the rights of them the others are down upon,

Of the deformed trivial, flat, foolish, despised,

Fog in the air, beetles rolling balls of dung.

Through me forbidden voices,

Voices of sexes and lusts, voices veil'd and I remove the veil,

Voices indecent by me clarified and transfigured. »


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