Interloqué parce qu'avec des images, des cadrages superbes, graves, tragiques, une présentation des personnages et du milieu dans quoi ils vont évoluer qui est intelligente, typée, cursive, précise, avec un scénario qui pourrait n'être pas plus mauvais qu'un autre, il s'enfonce dans un ratage souvent pénible.
Qu'est-ce qui ne fonctionne pas ? Je n'ai certes pas trouvé très bon Paul Bernard qui interprète Julien de Kéradec, le châtelain ruiné qui porte continuellement des guêtres (d'où le surnom de Pattes blanches qui lui a été donné par les galopins d'Erquy, village où se déroule l'action) ; mais c'est moins dû à la personnalité de l'acteur, certes un peu fade, mais qui a su être excellent, en tout cas très satisfaisant dans nombre de bons films (Pension Mimosas, Les dames du Bois de Boulogne, Les Maudits, Panique) que dans le rôle qu'il joue. La servante bossue Mimi (Arlette Thomas, dont j'apprends qu'elle fut plus tard la voix du poussin Caliméro) n'est pas toujours bien bonne, mais son jeu n'a rien d'infamant. Et puis Fernand Ledoux, en aubergiste prospère avide de la chair fraîche toujours appétissante de la délicieuse Suzy Delair est parfait. Ah ! Il y a Michel Bouquet en sale type halluciné, jaloux, envieux qui est tout de même trop théâtral. Voilà un grand acteur qui a bien fait de vieillir : dans ses jeunes années, il avait le même regard fou et le même jeu frénétique que ce serin de Jean-Louis Barrault… Qui dira le mal que l'habitude des planches et l'attente de la respiration du public et de ses adulations a fait au cinéma !Et d'ailleurs je crois que c'est dans cette juxtaposition malsaine entre deux formes d'expression qui n'ont finalement que des rapports vagues que réside la faiblesse de Pattes blanches. Le scénario est de Jean Anouilh, qui se piquait de pouvoir écrire pour le cinéma. Le peu que je connaisse d'Anouilh (mais le théâtre m'est une telle purge !) me laisse penser que l'intrigue, fantaisiste et singulière, pourrait passer la rampe, mais devient hors de propos à l'écran.
Quand j'écris l'intrigue, je ne suis pas sûr de trouver le mot exact : on pourrait sûrement en tirer une forte histoire. Mais le théâtre a une forme d'envoutement particulier (ce que ses amateurs appellent sa magie) qui ne passe pas du tout au cinéma. Le côté funambulesque, insolite, irréel de la scène permet des extravagances qui ne passent pas à l'écran. Bizarre mais habituel : le langage n'est pas le même. Pattes blanches est un film fréquemment ridicule, quelquefois même grotesque. Qui, en même temps, ne manque pas de charme, dans le sens le plus magique du terme. On se perd dans une forêt un peu maléfique, de temps en temps, mais on écarquille aussi souvent les yeux en se demandant si on n'est pas devant des marionnettes…Page générée en 0.0035 s. - 6 requêtes effectuées
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