Je reconnais dans ce film, mais sur un mode mineur, les qualités appréciables d'un certain cinéma italien récent, à nouveau charpenté par des scénaristes professionnels de haut niveau. Cela dit j'ai une certaine impression de redite, ou encore de veine qui commence à s'épuiser : c'est la troisième fois en trois ans que je tombe sur les attentats terroristes des Années de Plomb dans un film scénarisé par Petraglia-Rulli (les deux autres étant Nos meilleures années et Romanzo criminale, qui sont aussi de meilleurs scénarios et de meilleurs films). Que cette époque soit l'objet de nombreuses tentatives d'illustration, c'est bien normal; et il y en aura d'autres. Mais nos deux compères devraient… – d'abord, ils doivent absolument rester ensemble, pas comme Age-Scarpelli qui ont "divorcé" au milieu des années 80, après seulement 40 années de collaboration – mais ils devraient s'intéresser à d'autres périodes de l'histoire italienne pour exercer leur magie et surtout, se renouveler avant qu'il soit trop tard. Par exemple, ils ont déjà tâté du Risorgimento avec beaucoup de succès et d'aplomb dans Domani accadra : pourquoi pas une autre histoire située à cette époque qui grouille littéralement d'histoires à raconter ?

Les acteurs sont tous excellents, avec un prix spécial de mon jury personnel à l'excellente Angela Finocchiaro (dont le coup de vieux m'a fait un choc : ça faisait au moins dix ans que je ne l'avais pas vue à l'écran, salauds de distributeurs !). Le propos même du film est très intéressant : n'est-il pas vraisemblable, en effet, qu'un adolescent qui se sent traité injustement dans une famille de communistes vire à l'autre bout du spectre politique juste pour emmerder tout le monde ? C'est une bonne histoire, pleine d'ironie, qui donne lieu à de bons chassés-croisés, avec d'assez grosses ficelles, comme vous dites, mais bien attachées.

J'aime bien Daniele Luchetti et je trouve injuste et incompréhensible qu'aucun de ses films ne nous soient parvenus après l'excellent Porteur de serviette. Mais je crois qu'ici, son choix de ne pas vouloir faire "une reconstitution historique" plombe le film plus qu'autre chose. D'autant que ma scène préférée du film est une scène – que le metteur en scène le veuille ou non – de reconstitution historique particulièrement gratinée !

Il s'agit bien sûr de la séquence du concert de Beethoven, avec la soeur violoncelliste des deux frères ennemis, concert monté par étudiants et professeurs d'extrême-gauche dans une université italienne à demi occupée du milieu des années 70. « Nous avons défascisé L'Hymne à la joie ! » lance, triomphal, le frère communiste en guise de présentation de sa soeurette musicienne. (Notons ici l'usage complètement frappadingue et ignare du mot fasciste, typique de cette époque et de cette génération). Et voilà que retentit ce bon vieux Ludwig Van, comme dirait Alex, musicalement correct, mais aux paroles remplacées par une série de slogan stalino-maoïstes du genre rimes de mirliton qui défilent sur des cartons repris en choeur… Ah, quelle honte, quelle imbécillité ! Et quelle censure, aussi. Si quelqu'un se demandait ce que ça pouvait donner, le mot d'ordre situationniste de « l'abolition de l'Art » (rigoureusement sic), eh bien voilà… En tout cas, c'est une très bonne scène, qui en dit long. D'autant que les étudiants néofascistes arrivent par là-dessus pour perturber l'édifiant spectacle et la bagarre éclate. Un vrai festival des antidémocrates.

Au total, c'est un film bien regardable, amusant, parfois enrageant. Mais ça ne décolle pas fort, ça manque d'ampleur et de profondeur, certaines possibilités narratives et spectaculaires ne sont qu'effleurées et l'ensemble demeure assez superficiel, prenant par moments l'air d'un Nos meilleures années du pauvre.

"Les commentaires italiens que j'ai lus semblaient à 50-50 entre ceux qui ont adoré et ceux qui ont détesté, avec à peu près personne au milieu."

Peut etre que les italiens actuels ont une facheuse tendance à adorer ou détester ce genre de films. En fait c'est un film assez agréable à regarder, qui manque parfois de force et de subtilité, on regrette de sentir apparaître assez fréquemment de bien "grosses ficelles". Ce n'est pas un film politique, le réalisateur le dit lui même, que le contexte historique sert de prétexte a cette histoire entre frêres, alors mon sentiment c'est que l'on reste un peu sur notre faim. L'évocation de ces rapports d'une fratrie déchirée par les idéologies de l'époque me semblait bien plus convaincante dans "nos meilleures années". j'aurais voulu, vu le thème, que celui ci me "scotche" à mon siège.

Reste que nous ne nous lassons pas de nous immerger dans l'Italie des années 60, que ce soit à travers des films contemporains ou d'époque, et qu'il est très bien porté par le jeune acteur Elio Germano, qui sait être ingrat à la perfection et très attachant en même temps.