Découvert sur grand-écran en copie restaurée, suivi d'un débat ciné-club public qui démontre la diversité des interprétations et appréciations à propos de Double messieurs (1986) réalisé par Jean-François Stévenin. Quatre spectateurs ont quitté la salle de projection à mi-longueur à un moment ou le récit enchevêtre des péripéties improbables loin des canevas habituels du polar ou film dramatique, dont il respecte pourtant certains codes. Les séquences sur le parking de Grand-place à Echirolles dans un climat nocturne et lugubre, avec des confrontations de personnages énigmatiques ou barges peuvent être perçues comme artificielles ou datées, et susciter un rejet de la part de certains spectateurs. En 1987, mon oncle s'est fait voler sa Subaru sur ce parking alors qu'il déjeunait à la cafétaria de l'hypermarché de ce centre commercial. Cet endroit n'était pas peuplé à l'époque que de bons samaritains ce que le film rend bien.

A mon sens, Stévenin montre au cour de la partie centrale de l'oeuvre des personnages paumés, médiocres, et fait volontairement jouer faux ses acteurs, dans le but de mettre en exergue le final, ou s'affirment les valeurs de l'authenticité rurale, cadre dans lequel s'opère une rencontre fusionelle entre deux personnages. Oeuvre pointue, peu conventionnelle, mais la qualité de la mise en scène (gestion de la profondeur de champ, par exemple), de la photographie (nombre de séquences nocturnes ou sous de sombres nuages), un montage très élaboré, l'originalité du sujet, positionnent Double messieurs comme une oeuvre certes exigeante mais aboutie du cinéma de l'époque. Des séquences prennent avec le temps un aspect documentaire sur la vie du Dauphiné de l'époque, d'avant le réchauffement climatique et la mondialisation, ce second point ayant mis au début des années 1990 en grande difficulté le tissu économique local.

Jean-François Stévenin signe un film qui mérite toute l'attention. Tout d'abord, resituons le bonhomme. Contrairement aux apparences, ce n'est pas un acteur qui s'essaye à la caméra, mais un réalisateur dans l'âme qui a été poussé par les maîtres de la Nouvelle Vague (Truffaut notamment) à faire le comédien avant que son parcours d'assistant ne l'amène à la réalisation. A voir Double Messieurs, il ne fait aucun doute que Jean-François Stévenin est un réalisateur, et un vrai.

Il y a d'abord la difficulté à résumer le film, il y a même la difficulté à pouvoir tout comprendre des attitudes des personnages, des situations et du scénario. Mais (et là bravo !), au fond, ça nous est égal. Le charme opère grâce à des personnages forts et attachants, que ce soit Jean-François Stévenin en loser frustré et timide ou bien encore et surtout Yves Afonso qui joue un Jean-Paul Belmondo raté, trouillard, lâche et surtout ultra-crédible. Mais peu à peu, le film glisse en enquillant des scènes apparemment inutiles à l'avancée du récit, mais qui ont la force d'offrir une distance entre les personnages et les situations dans lesquels ils se trouvent prisonniers. La distance permet d'arriver à une scène extraordinaire entre Jean-François Stévenin et la sublime et encore très très belle Carole Bouquet, une scène d'amour d'une froideur, d'une distance et d'une paradoxalité rares dans le cinéma. Cette scène aboutit à un générique de fin encore plus étrange. Il est dédié à deux personnes – ce n'est pas nouveau  – seulement on voit leurs photos. Il s'agit de Jean-Pierre Rassam, producteur génial, mari de Carole Bouquet et beau-frère de Claude Berri, emporté trop tôt par la drogue, et de la petite fille du réalisateur. Ensuite, on voit un plan étonnant en pleine montagne d'un travelling qui se lance dans le vide, sur ce apparaissent les noms des techniciens. Bizarre.

Le film n'est pourtant pas parfait à cause d'un montage un peu trouillard recourant à un tape-à-l'œil inutile, et à beaucoup (trop !) d'ellipses qui cassent malheureusement le rythme et l'intrigue.