Le sujet du film est très, très intéressant. Le film, lui, est froid et manque de souffle. Comment un réseau international de communistes chargés de faire passer des armes à l'Espagne républicaine finit désintégré par les "purges" internes du parti de Staline. C'est un sujet en or ! Pas des plus légers, je vous l'accorde, mais en or ! Et hélas, le traitement distant, qui confond objectivité et manque d'émotion, m'a laissé sur ma faim et parfois ennuyé.

Ça se voit jusqu'au bout, c'est sûr, parce qu'on veut quand même savoir ce qui arrivera aux camarades Anton (Claude Brasseur, excellent) et Léo (Jacques Dutronc, effacé). On veut savoir, notamment, si Anton va tenir ferme dans son refus d'obéir à l'ordre de retourner à Moscou où il pressent (avec raison) que le pire l'attend – pour rien, d'ailleurs : car en tant que communiste il n'a rien à se reprocher, ne pige pas dans la caisse, ne transmet pas de tuyaux aux trotskystes, fait avec régularité ses envois d'armes par le biais de sa société écran et se fond dans le décor. Seulement, à Moscou et donc à travers tout le mouvement communiste, on nage dans une paranoïa délirante où n'importe quoi et son contraire peut vous rendre suspect.

La photographie n'est pas le problème, pas plus que la musique, ce sont au contraire des éléments réussis. La reconstitution historique, sans être opulente, est honorable. Les costumes, coiffures, voitures d'époque nous donnent bien l'impression d'y être. C'est tout à fait 1937. Tout ça est bien, c'est loin d'être du cinoche de mauvaise qualité. Mais c'est guindé, c'est amidonné dans le traitement. Ce n'est pas que l'émotion ne passe pas, c'est qu'on ne veut pas la faire passer, alors que le drame réel de cette histoire, si l'on s'y arrête, est tout ce qu'il y a de prenant.

Je me demande si c'est à force de vouloir éviter à tout prix d'être un film d'espionnage alors que les protagonistes sont des espions ? Donnez un sujet comme ça à John Le Carré et il vous aurait mitonné un de ses beaux romans mélancoliques à intrigues retorses comme on les aime. Sans émotion, tout ce qui concerne l'histoire d'amour entre Jacques Dutronc et Nathalie Baye tombe à plat, ne convainc pas. Pourquoi ils s'aiment, ces deux-là ? Parce que les faits, parce que les scénaristes en ont décidé ainsi ? Mais si je ne vois pas la moindre étincelle entre Baye et Dutronc, comment voulez-vous que j'y croie ? En plus, Dutronc comme Brasseur se confient trop facilement à Baye, lui révèlent trop rapidement la vraie nature de leurs périlleuses activités. Alors qu'elle n'est même pas communiste ! Parce qu'elle a une belle gueule ? Comment justifier que des personnages qui vivent dans la paranoïa jusqu'aux yeux fassent confiance avec si peu de vérifications à cette nouvelle venue, qui pourrait très bien une habile infiltrée du camp ennemi ? C'est une assez sérieuse invraisemblance.

À part ce point, tout l'aspect politique du film est réussi, je veux dire qu'on nous fait comprendre la situation complexe en évitant adroitement d'être didactique. Ça passe assez naturellement par les dialogues. Quand on entend : « Les ordres pour l'Espagne ont changé. Il faut livrer les armes aux seuls communistes », eh bien, pas besoin de nous faire un dessin. On comprend bien où ça s'en va. Et quand quelqu'un dit : « Désormais il y a plus d'ex-commmunistes que de communistes. Et c'est entre communistes et ex-communistes que va se faire la lutte finale », on se dit : eh, il faut que je retienne cette réplique !

Alors, c'est dommage qu'avec un thème comme celui-là, et un acteur comme Claude Brasseur que j'ai rarement vu aussi sobre et convaincant, on se retrouve à l'arrivée avec un résultat si mitigé. Je ne peux pas mettre 2 parce que c'est trop intéressant (et correctement fait); je ne peux pas mettre 4 parce que ce film passe à côté d'une très belle occasion. Un remake de L'Ombre rouge, pour une rare fois, serait une bonne idée.

Quelqu'un ayant vu L'Ombre rouge (dont j'entends parler pour la première fois en musardant sur dvdtoile.com) peut-il nous parler de ce film? Le sujet, en tout cas, est des plus intéressants. Ce Comolli, c'était pas un critique aux Cahiers du cinéma, des fois? Mais peut-être son film est-il bon quand même…