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La sauvagerie sent mauvais


De Impétueux, le 8 octobre 2011 à 22:24
Note du film : 6/6

Et à l'extrême fin de Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia, on a vaguement l'idée de se demander si le déluge de balles à quoi on vient d'assister n'est pas légèrement exagéré et si Sam Peckinpah ne répète pas avec trop de complaisance la scène ultime de La horde sauvage. Et puis finalement non, on se dit que les deux séquences ont leur absolue pertinence et conviennent à merveille au propos du cinéaste, la lassitude alcoolisée de participer au monde, avec plus de scepticisme sarcastique dans La horde, plus d'exaspération furieuse dans La tête.

Dans les deux films, en tout cas, on est plongé d'emblée dans un merdier insupportable, un Mexique éloigné des images de cartes postales et qui semble abandonné de Dieu. Lourdeur du soleil, aridité du paysage, sensation qu'on respire de la poussière. Paradoxalement Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia s'ouvre sur une mélodie chaude, tendre, et les plans charmeurs d'une rivière où nagent paisiblement des canards, d'une jolie jeune fille rêveuse qui baigne son pied nu dans l'eau. Mais l'ennui est que cette jeune fille est enceinte. Voilà qui fait tâche immédiatement : il n'y aura plus ensuite que des images violentes ou sordides.

Il y a quelques rares exceptions, les scènes où Bennie (Warren Oates, excellent de bout en bout) et sa compagne Élita (Isela Vega) admettent que, quelles qu'aient été leurs chiennes de vie, ils s'aiment vraiment et veulent vivre ensemble à l'avenir. C'est bien loin d'être serein, apaisé, harmonieux et le souvenir de l'aventure qu'Élita a eue avec le défunt Alfredo fouette avec constance l'esprit et la rage de Bennie. Mais c'est une belle histoire, émouvante, fragile. J'ai vu qu'Isela Vega, qui a tourné, au Mexique, un très grand nombre de films, était surtout connue pour des rôles déshabillés. En tout cas, là, elle est drôlement bien, anxieuse, attentive, résignée, confiante…

Une des forces du film est la cohabitation dans le même espace temporel de la modernité de 1974 et des aspects qui paraissent les plus archaïques d'une sauvagerie généralisée. Une société mexicaine qui est moins capitaliste que féodale, ou même tribale, avec subordination absolue au Chef, absence de toute considération envers tout ce qui n'est pas du clan et liens absolus de réciprocité. Un système qui fonctionne en vase clos avec une terrifiante efficacité, qui a règles, normes, interdits intégrés par tous et qu'il n'est pas même question de discuter. C'est admirablement décrit par Peckinpah dès la scène où le patriarche arrache à sa fille chérie le nom du père du bâtard et offre un million de dollars à qui lui rapportera la tête haïe de ce chien galeux d'Alfredo Garcia. On sent une scène à la Goya, toute la pesanteur rigoriste de l'austère Espagne.

Tout de suite après, départ des chasseurs à la poursuite d'Alfredo Garcia, avions rugissants, lourdes limousines, place des Trois Cultures à Mexico, exploration des moindres endroits où le scélérat pourrait être connu. Le bar où joue et survit mal Bennie. Superbe scène de sa rencontre avec les deux tueurs yankees (Robert Webber et Gig Young), dont l'homosexualité est à peine suggérée, et dont la cruauté souriante fait froid dans le dos.

Mais des scènes très fortes, il y en a plein d'autres : le presque viol d'Élita par deux routards goguenards, la décollation du cadavre d'Alfredo dans un cimetière désolé, la haine meurtrière de Bennie pour les assassins de sa femme et de l'arme déchargée sur l'un d'entre eux Pourquoi je fais ça ? Parce que ça me fait un bien fou !, les mouches qui s'agglutinent sur la tête gluante et pourrie et, bien sûr, les dix dernières minutes qui ne sont que chaos et haine…

Un grand film grave, agressif, venimeux…


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De Freddie D., le 26 août 2006 à 19:52
Note du film : 6/6

Bien qu'il ait été fait il y a 32 ans, c'est le film le plus nihiliste et désespéré jamais sorti de l'imaginaire d'un réalisateur américain. Oates est un descendant des anti-héros de Le trésor de la Sierra Madre (d'ailleurs, quand on lui demande son nom, un des tueurs dit s'appeler Fred Dobbs, qui était le nom de Bogart, dans le film de Huston), encore moins reluisant. Le film est inconfortable, mais on ne peut s'empêcher d'y revenir encore, et encore. Comme tous les grandes réussites de Peckinpah, d'ailleurs.


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