Mais auparavant, entrée du film dans la cave sombre où Kaspar (Bruno S.) est attaché, comme une bête de somme par une courroie et vit sur une litière sordide ; on devine la puanteur, la vermine dont l'homme est couvert ; il n'est nourri que de pain grossier. Un inconnu, ses seize ans révolus, vient le sortir du cloaque ; lui apprend à se tenir debout, à balbutier quelques mots, l'abandonne sur une place de Nuremberg. La population s'étonne, s'émeut. On trouve sur l'inconnu quelques lignes qui expliquent la situation : Kaspar a été jadis confié à un homme pauvre, chargé d'une nombreuse famille, qui l'a élevé délibérément hors du monde et qui s'en débarrasse. Tout est là.
Déshabillé, scruté, examiné, lavé, l'homme fait peu à peu son apprentissage : il apprend à parler, à manger, à se tenir droit et à marcher. Les braves gens du coin, interloqués, par charité ou par curiosité, s'occupent de lui jusqu'à sa réputation arrive aux oreilles des autorités, jusqu'à ce que Kaspar devienne une sorte de vedette. On peut même penser à Elephant man de David Lynch où le malheureux monstrueux John Merrick, lui aussi exhibé un temps dans une baraque de foire, devient lui aussi à la mode.Le cas de Hauser est bien plus mystérieux. Il est victime d'attaques criminelles, un coup de pistolet d'abord puis trois ans plus tard d'une mortelle attaque au couteau . Mais l'interrogation demeure : est-il victime d'une machination ou s'est-il suicidé ? Herzog ne tranche pas.
Et il a bien raison, parce que tout ce qui sourd de son film conforte le caractère incompréhensible du drame. Y compris la dernière scène, chirurgicale, où l'autopsie constate des anomalies physiques graves, un foie et un cerveau anormaux, un cervelet trop développé. Jusqu'au bout le mystère. Et devant la qualité de jeu extraordinaire de Bruno S. (Bruno Schleinstein) lui-même victime d'une drôle de vie on admet sans trop de difficulté que l'acteur, qui avait alors 42 ans puisse incarner un jeune sauvage censé en avoir 16.Werner Herzog est un cinéaste froid, glacé, même, fasciné par les anomalies physiques (Les nains aussi ont commencé petits) et par l'outrance et la folie (Aguirre, Fitzcarraldo) ; il tient sa caméra à distance, ne permet au spectateur qu'un regard distant. Cela peut entraîner, ici ou là, une baisse de rythme ; mais c'est tout de même bien fascinant.
Ce monde-là est régi par des rapports sociaux normatifs et heurtés (peu de tolérance vis à vis des infirmes, ou des marginaux rejetés au ban de la société). Un cadre social coercitif reposant sur le jugement arbitraire des hommes et les mécanismes des institutions qu'ils ont bâties (justice, éducation, exécutif politique). Néanmoins, la capacité de réflexion, de tolérance, et d'action désintéressée et humaniste de quelques-uns constituent un contrepied bienvenu. Deux modes de pensées se font face et déroulent des actions contradictoires.
Mais le cas de Kaspar Hauser, exposé sous forme clinique et sobre par Werner Herzog, qui a passionné son époque et l'Europe toute entière, est également le reflet des luttes politiques alors en cours sur le sol germanique. Le symbole du grain de sable qui peut faire ou défaire un empire politique aux pieds d'argiles, faute de cohésion sociale et d'adhésion autour de valeurs communes.
Un film d'auteur, ambitieux, cérébral -il porte à réfléchir sur tout un tas de sujets comme l'éducation et la morale-, réussi, loin des canons du cinéma "glamour", et si typique du milieu des années soixante-dix !
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