Je ne suis pas sûr que ce bon film hollywoodien bien de son époque mérite la dithyrambe de VincentP. Néanmoins ce film est incontournable, il mérite ô combien d'être vu grâce au numéro hallucinant de Charles Laughton en capitaine Bligh. Mais attention ! S'il y a des apprentis comédiens qui lisent ceci, n'essayez surtout pas ça à la maison, si vous tentez d'en faire du pareil, vous serez recalés d'office. Car n'est pas Charles Laughton qui veut ! Mais juste pour lui (et peut-être aussi pour son concurrent Peter Ustinov), on a envie d'introduire la notion de cabotinage génial, concept limite s'il en est. C'était un génie dans son genre. Le dos de la cuiller n'était pas son rayon, mais quel spectacle !

Les révoltés du Bounty fait partie des films qui font date dans l'histoire du cinéma. Non-parfait, par moment sans doute un peu trop respectueux des conventions du récit hollywoodien des années 30 (les violons, la fanfare musicale qui salue pompeusement le départ du navire, les dialogues très abondants -tout à besoin semble-t-il d'être expliqué-). Certains détails (des gags désuets) peuvent le rattacher à une époque révolue.

Et pourtant, le film, très riche en idées et en émotions, marque les esprits. Il est surtout porté par un souffle de plus en plus puissant. La dernière demi-heure, tirant progressivement les conclusions des péripéties du récit, pour la société humaine, est admirable, magistralement écrite (Jules Furthman -Rio Bravo, Le grand sommeil,…-, Talbot Jennings-Le Grand passage, Au-delà du Missouri,…-, Carey Wilson), réalisée (Frank Lloyd), photographiée (Arthur Edeson :Casablanca, Frankenstein, L'Homme invisible,…).

Bien avant cette conclusion de haute volée, plusieurs thèmes ont été superbement croisés : la rencontre de civilisations que tout oppose, la révolte vis à vis d'un ordre social établi, le mode de gouvernance d'une société humaine. L'interprétation de Clark Gable est quant à elle tout simplement exceptionnelle, une des plus belles de toute l'histoire du cinéma. Le portrait de l'officier qu'il interprète, est en parallèle extrêmement réussi. Soumis aux ordres hiérarchiques brutaux et stupides de son hiérarchique, l'officier Christian découvre des valeurs humanistes au travers des moeurs des autochtones tahitiens fréquentés le temps d'une escale, réalise que l'accomplissement de son destin passe par une révolte organisée et rationnelle, canalisant la colère de la masse opprimée, organisant un mode de gouvernance démocratique. La transformation de ce personnage, passant de l'affabilité de façade dans le cadre d'une soumission à une détermination farouche, dans le cadre de la production de valeurs démocratiques, est impressionnante.

Et Les révoltés du Bounty, comme d'autres classiques de cette époque (exemple, King Kong), porte en lui un esprit pionnier. Il explore son champ d'investigation à fond, semblant défricher de nouveaux territoires, image par image, tantôt naïves (le discours du chef tahitien), tantôt magnifiques et poétiques (la rencontre avec l'amour sur la plage tahitienne). Mélange détonnant, conférant à ce récit un aspect authentique, ayant pour effet de faire ressentir et partager les émotions et sentiments des personnages, réfléchir à propos de leurs actions et idées comme on le ferait vis vis des premiers hommes filmant leur débarquement sur la lune.

Bref, un chef d'oeuvre, qui marque les mémoires, à voir absolument.

Pour mesurer aussi ce que fut l'âge d'or du cinéma hollywoodien (1930-1960), quand talent, travail et moyens financiers se trouvèrent conjugués pour produire de l'art.